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Rare coup de foudre à Genève Geneva Grand Théâtre 09/18/2022 - Fromental Halévy : L’Eclair Eléonore Pancrazi (Mme Darbel), Claire de Sévigné (Henriette), Edgardo Rocha, Leonardo Rafael (Lionel), Julien Dran (George)
L’Orchestre de Chambre de Genève, Guillaume Tourniaire (direction musicale)
(© ConcertoNet)
A l’occasion de l’ouverture de sa saison 2022‑2023 avec La Juive de Fromental Halévy (1799‑1862), le Grand Théâtre de Genève a eu l’heureuse idée de proposer au public de découvrir un autre opéra – comique cette fois – du compositeur, de surcroît écrit plus ou à moins à la même période : L’Eclair. Un ouvrage aujourd’hui tombé dans l’oubli, dont il n’existe d’ailleurs aucun enregistrement officiel ; seuls quelques airs ont été gravés au disque pour des récitals. Pourtant, la création en 1835 à l’Opéra‑Comique fut un triomphe, et l’œuvre a été jouée à Paris 214 fois entre 1835 et 1899, la dernière fois pour le centenaire de la naissance d’Halévy. Le succès a même été au rendez‑vous à l’étranger, notamment en Allemagne. Au Grand Théâtre de Genève, L’Eclair a été représenté pour la dernière fois en 1872. La correspondance avec Meyerbeer nous apprend qu’Halévy a commencé la composition de L’Eclair en janvier 1835, peu de temps avant la première de La Juive. Les deux ouvrages sont donc pratiquement simultanés, ce qui rend la démarche du Grand Théâtre d’autant plus intéressante. Mais les points communs s’arrêtent là, car si La Juive est considérée comme la référence du grand opéra à la française, L’Eclair est un opéra bouffe, un divertissement musical sans prétention, à la structure légère (quatre solistes, un orchestre en petit effectif et pas de chœur).
L’Eclair, fondé sur un livret de Jules‑Henri de Saint‑Georges et d’Eugène de Planard, se déroule à Boston. Faut‑il y voir un clin d’œil à la publication, en 1835 justement, de l’essai d’Alexis de Tocqueville De la démocratie en Amérique ? On ne saurait le dire. Toujours est-il que l’ouvrage raconte les amours de George, un Anglais, et de Lionel, un lieutenant de la marine américaine, pour deux sœurs, Henriette et la jeune veuve Mme Darbel. Ces amours sont compliquées par le fait que chacun est hésitant dans le choix de son partenaire ; la situation est rendue encore plus compliquée par la cécité temporaire dont souffre Lionel lorsqu’il est frappé par la foudre lors d’un orage.
Disons‑le d’emblée, cette unique représentation concertante de L’Eclair laisse une impression plutôt mitigée. L’ouvrage, comme tous les opéras‑bouffes, comporte de nombreux dialogues, dont certains ont d’ailleurs été supprimés. Or les chanteurs réunis sur le plateau du Grand Théâtre n’ont pas une voix de récitant, ou du moins ne sont pas de véritables récitants, d’où un manque d’impact et d’expressivité dans leurs interventions parlées, qui fait que les dialogues tombent parfois à plat et qu’un sentiment d’ennui s’installe peu à peu. Pour Edgardo Rocha, le seul non francophone de la distribution, les textes étaient déclamés par un acteur. Pour ce qui est de l’aspect vocal de sa prestation, si on ne saurait remettre en cause les qualités exceptionnelles du ténor, belcantiste réputé, qui incarne un Lionel ardent, au timbre lumineux et aux vocalises époustouflantes, force est néanmoins de reconnaître que la diction française lui pose des problèmes, ce qui est gênant pour l’oreille du spectateur francophone. Les trois autres solistes sont de jeunes chanteurs au début de leur carrière. Claire de Sévigné est une Henriette émouvante et ingénue, à la voix délicate mais à la projection limitée. Eléonore Pancrazi incarne une Mme Darbel malicieuse et enjouée, à la voix chaude et corsée, à l’exact opposé de celle de sa sœur. Julien Dran interprète un George un peu prétentieux et ridicule, qui se pique d’être un grand philosophe. C’est de lui que viennent les reparties les plus drôles de la soirée.
A la tête de L’Orchestre de Chambre de Genève, Guillaume Tourniaire, toujours très attentif aux chanteurs, propose une exécution raffinée et enjouée à la fois de la partition d’Halévy. On retient notamment une orchestration très expressive, avec des violons frémissants et des percussions grondantes, pendant la scène de l’orage. Cette représentation doit faire l’objet d’un enregistrement, d’où la présence de micros. Quand bien même le résultat est mitigé, il faut savoir gré au Grand Théâtre de Genève d’avoir proposé cette rareté, malheureusement suivie par un public des plus clairsemés.
Claudio Poloni
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