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Louise et Seong‑Jin

Baden-Baden
Festspielhaus
07/15/2022 -  et 17* juillet 2022

15 juillet
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 1 en ré mineur, opus 15
Louise Farrenc : Symphonie n° 3 en sol mineur, opus 36


17 juillet
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 2 en si bémol majeur, opus 83
Louise Farrenc : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 35

Seong‑Jin Cho (piano)
Chamber Orchestra of Europe, Yannick Nézet‑Séguin (direction)


S.‑J. Cho, Y. Nézet‑Séguin (© Andrea Kremper)


Deux concerts en quelque sorte jumeaux, pour clore cette première édition du Festival « La Capitale d’Eté » de Baden‑Baden, une manifestation dont Yannick Nézet‑Séguin a déjà annoncé la reconduction l’an prochain, avec sans doute à nouveau de stimulants programmes combinant grand répertoire et raretés. Pour l’heure, c’est l’occasion de se faire une idée plus précise de deux talents : celui de l’encore tout jeune pianiste coréen Seong‑Jin Cho, 28 ans, et celui de la compositrice Louise Farrenc (1804‑1875), contemporaine quasiment exacte de George Sand, une personnalité certes redécouverte depuis quelques années déjà, mais qui n’avait jamais pu bénéficier jusqu’ici d’un tel coup de projecteur festivalier.


Seong‑Jin Cho avait 21 ans lorsqu’il a remporté en 2015 le Concours Chopin de Varsovie, ce qui l’a propulsé immédiatement parmi les pianistes les plus demandés de l’époque, voire aujourd’hui d’une popularité dont nous n’avons en fait qu’une idée très incomplète. Dans sa Corée natale, qu’il n’habite plus, Seong‑Jin Cho est devenu une star d’une telle ampleur qu’il déclenche instantanément un raz de marée de billetterie à chacune de ses apparitions. Au point d’ailleurs que certains de ses compatriotes, présents en assez grand nombre pour ces deux concerts au Festspielhaus de Baden‑Baden, ont fait exprès le voyage pour l’écouter, dans des conditions d’accessibilité paradoxalement plus faciles que dans leur propre pays. Sur scène on découvre un jeune homme d’apparence frêle et réservée, qui caresse furtivement le clavier du haut en bas avant de commencer à jouer, comme un geste conjuratoire. Les deux Concertos pour piano de Brahms sont pour lui un territoire encore tout nouveau, et sauf erreur Seong‑Jin Cho joue même ici l’un des deux pour la première fois en public. Inattaquables sur le plan du respect du texte (un quasi‑sans‑faute digital), il s’agit effectivement d’interprétations à laisser encore longuement mûrir. Pour l’instant, tout est déjà bien en place (ce qui, au vu des exigences techniques redoutables de ces deux partitions, n’est vraiment pas rien), mais la lecture reste en surface, en particulier dans les mouvements lents. Et puis il faudrait vraiment que Seong‑Jin Cho, capable à la demande d’un jeu parfaitement nuancé, arrête de faire claquer à ce point ses fortissimi, au point d’ailleurs, le premier soir, d’en casser le mécanisme de l’une des touches du piano et d’en désaccorder complètement le milieu, en terminant sur une quasi‑guimbarde. Certes, on exagère, mais pas tant que ça : le bis, « Fleurs solitaires », extrait des Scènes de la forêt de Schumann, cantonné en toute simplicité dans la partie centrale de l’instrument, précisément celle qui a le plus souffert, zingue et grince à tel point qu’il aurait sans doute mieux valu, dans l’instant, opter pour autre chose. Le second soir, le Steinway résiste mieux et Seong‑Jin Cho paraît davantage en phase avec le romantisme plus posé du Second Concerto qu’avec les foucades du Premier, mais dans les deux cas, ce piano trop souvent bruyant nous fatigue relativement, a fortiori sur des durées par deux fois très longues.


Grand angle ensuite sur Louise Farrenc, qui bénéficie de tout le savoir‑faire de Yannick Nézet‑Séguin et d’un orchestre d’élite, pour mettre en valeur ses Deuxième et Troisième Symphonies, que l’on peut donc apprécier dans des conditions a priori idéales. Une musique que le chef canadien aborde en défenseur convaincu, sans parvenir cependant à déclencher notre propre enthousiasme, à l’égard de partitions certes fort bien écrites mais qui restent de second rayon. Des deux symphonies, on retient surtout à chaque fois la beauté des mouvements centraux (dommage que le joli Scherzo de la Troisième soit encombré d’un trio plutôt ridicule), alors que les longs développements et ressassements des mouvements extrêmes finissent par ennuyer. Elève à Paris d’un condisciple de Beethoven, Anton Reicha, qui possédait et transmettait à ses nombreux élèves une partie du savoir‑faire symphonique de son contemporain, mais certainement pas son génie, Louise Farrenc possède assurément une notable maîtrise de l’orchestre, mais c’est plutôt au niveau de l’agencement d’un agréable matériau de base que l’imagination pèche, avec une certaine tendance à tirer à la ligne dans une écriture contrapuntique plutôt savante mais dont les effets s’épuisent au fil des pages. Et puis on notera aussi un curieux décalage dans le temps entre ces symphonies composées puis effectivement jouées à Paris (un rare privilège, à l’époque pour une compositrice), avec l’évolution du romantisme allemand dont elles s’inspirent. Crée en 1845, la Deuxième Symphonie reste très haydnienne d’allure, alors que la Troisième (1847) prend plus d’assurance et ressemblerait davantage à du Mendelssohn bon chic bon genre (en particulier dans un Scherzo d’une texture agréablement aérée), sans rien cependant des grands gestes échevelés qui commençaient alors à faire fureur. Mais sans doute Louise Farrenc était‑elle beaucoup trop sérieuse, voire pétrie de classicisme, pour se laisser aller à ce genre d’excès.


Accueil dans l’ensemble enthousiaste pour ces deux symphonies, finement exécutées par un Orchestra de chambre d’Europe parfaitement adéquat pour ce répertoire (alors qu’il paraît une fois encore manquer de charpente pour Brahms), et qui prend un véritable plaisir à l’aventure. Une formation où on peut d’ailleurs d’apprécier, en invité surprise, le timbre immédiatement reconnaissable de Sébastien Giot, hautbois solo de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.



Laurent Barthel

 

 

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