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Pari à moitié gagné

Milano
Teatro alla Scala
06/07/2022 -  et 11, 14*, 18, 21, 25 juin 2022
Amilcare Ponchielli : La Gioconda
Saioa Hernández/Irina Churilova* (La Gioconda), Daniela Barcellona (Laura Adorno), Erwin Schrott (Alvise Badoèro), Anna Maria Chiuri (La Cieca), Stefano La Colla (Enzo Grimaldo), Roberto Frontali (Barnaba), Fabrizio Beggi (Zuàne), Giorgio Valerio/ ErnestoJosé Morillo Hoyt* (Un cantore, Un pilota), Francesco Pittari (Isèpo), Guillermo Esteban Bussolini/Alessandro Senes* (Un barnabotto)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Frédéric Chaslin (direction musicale)
Davide Livermore (mise en scène), Giò Forma (décors), Mariana Fracasso (costumes), Antonio Castro (lumières), D-Wok (vidéos), Frédéric Olivieri (chorégraphie)


(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)


La Gioconda d’Amilcare Ponchielli revient à la Scala après vingt‑cinq ans d’absence. C’est dans le célèbre théâtre milanais que l’ouvrage a été créé, en avril 1876. Quelques années avant sa collaboration avec Verdi, le librettiste Arrigo Boito, qui a signé d’une anagramme, Tobia Gorrio, s’est inspiré du drame en prose de Victor Hugo Angelo, tyran de Padoue, mais a transposé l’action à Venise. « Il faut que le drame soit grand, il faut que le drame soit vrai » a écrit Hugo dans sa préface. La Gioconda respecte ce précepte à la lettre, ce qui en fait un des opéras les plus tumultueux du répertoire, avec toute une succession de coups de théâtre plus ou moins improbables. Dans la Cité des Doges du XVIIe siècle, une chanteuse de rues surnommée la Gioconda refuse les avances de l’espion Barnaba. Elle aime Enzo Grimaldo, un noble banni, mais celui‑ci est amoureux de Laura, la femme du conseiller Alvise. Malgré ses sentiments pour Enzo, la Gioconda sauve les amants, dénoncés par Barnaba, parce qu’elle a reconnu en Laura la protectrice de sa mère aveugle. Alvise veut se venger de sa femme en l’empoisonnant. La Gioconda remplace le poison par un somnifère et cache Laura pour qu’elle puisse retrouver Enzo. Ayant promis de se donner à Barnaba en échange de son aide, elle se poignarde à son arrivée. Malgré sa profonde admiration pour la musique de Verdi, Ponchielli a réussi à se forger un style propre, avec une écriture orchestrale souvent originale. Ouvrage sombre et ardent, au panache parfois excessif, avec de nombreuses pages chorales et un ballet spectaculaire, La Gioconda oscille entre grand opéra à la française et drame verdien lorgnant déjà vers le vérisme. Malgré une présence plus ou moins régulière sur la scène de la Scala, notamment en 1952 avec Maria Callas dans le rôle‑titre, l’opéra est très rarement joué, même en Italie. Ses pages les plus célèbres sont la Danse des heures, l’air « Suicidio !  » de la soprano et « Cielo e mar » chanté par le ténor.


Pour cette nouvelle production scaligère, Davide Livermore a opté pour une mise en scène largement descriptive. Il a choisi de situer l’action dans une Venise sombre et lugubre, enveloppée de brouillard. Le décor, spectaculaire, est constitué de ponts, d’escaliers et de palais transparents, constamment en mouvement. Une Venise onirique aussi, avec des créatures célestes descendant des cintres ou suspendues à un lustre. Une Venise entre Mœbius, Tintoretto et Fellini, comme l’écrit le metteur en scène dans le programme de salle. Les serviteurs de Barnaba, déguisés en Polichinelle et munis de battes de baseball, se mêlent aux figurants costumés pour le carnaval, si bien que la fête est indissociablement liée à l’inquisition et à ses espions. Il faut savoir qu’à l’époque, les festivités duraient près de six mois dans la Sérénissime, mais les faits et gestes de chacun étaient étroitement surveillés. Au deuxième acte, une proue de bateau qui avance lentement en impose par son gigantisme. Comme souvent dans les productions de Davide Livermore, les projections vidéo sont légion. Mais la direction d’acteurs est cette fois plutôt sommaire, et les chanteurs sont laissés la plupart du temps immobiles sur le devant de la scène, face au public.


Si les musiciens de l’Orchestre de la Scala sont sans rivaux quand ils jouent leur répertoire, force est néanmoins de reconnaître que la direction de Frédéric Chaslin, certes solide, est raide et plate, et souvent sonore, au détriment des nuances et des demi‑teintes. La Gioconda est peut‑être l’un des seuls opéras du répertoire où chacun des six principaux types de voix a un rôle important, d’où la difficulté à distribuer l’ouvrage, qui exige des chanteurs de premier plan. Sur ce point, la Scala n’a gagné le pari qu’à moitié. S’il incarne un Enzo Grimaldo vaillant et au timbre séduisant, Stefano La Colla a des soucis d’intonation et ses aigus sont parfois tendus, mais on dira, à sa décharge, qu’il est arrivé sur la production pratiquement à la dernière minute, pour remplacer un collègue ayant déclaré forfait. Partageant le rôle‑titre en alternance avec Saioa Hernández, Irina Churilova a la puissance et l’énergie pour affronter une partition des plus écrasantes pour une voix de soprano, mais on ne peut que regretter que son chant soit parsemé de cris, sans parler de ses graves presque inaudibles. Roberto Frontali campe un Barnaba sournois et cynique à souhait, mais on aurait aimé davantage de cruauté pour ce personnage qui est très certainement l’un des plus noirs de tout le répertoire lyrique. Anna Maria Chiuri incarne une Cieca (la mère aveugle de la Gioconda) digne et imposante, à la belle voix grave. En grande forme vocale, Erwin Schrott est un Alvise particulièrement incisif et sonore. Technicienne hors pair au phrasé impeccable, Daniela Barcellona confère prestance et noblesse à Laura. Comme souvent à Milan, tous les comprimari s’acquittent parfaitement de leur tâche. Et on ne manquera pas de signaler la superbe prestation du Chœur de la Scala, lequel, par ses nombreuses interventions, est un des personnages principaux de l’opéra. A noter que les Chorégies d’Orange ont programmé La Gioconda cet été. A voir si la distribution réunie dans le Théâtre antique enthousiasmera davantage qu’à Milan.



Claudio Poloni

 

 

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