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Le Rosenkavalier retrouve son public

München
Nationaltheater
05/08/2022 -  et 11, 15* mai, 21, 24 juillet 2022
Richard Strauss : Der Rosenkavalier, opus 59
Marlis Petersen (La Maréchale), Christof Fischesser (Ochs), Samantha Hankey (Oktavian), Johannes Martin Kränzle (Faninal), Liv Redpath (Sophie), Daniela Köhler (Marianne Leitmetzerin), Ulrich Ress (Valzacchi), Ursula Hesse von den Steinen (Annina), Josh Lovell*/Galeano Salas (Un chanteur italien), Martin Snell (Un commissaire de police), Kevin Conners (Le majordome de la Maréchale, Un aubergiste), Caspar Singh (Majordome chez Faninal), Christian Rieger (Un notaire), Jasmin Delfs, Jessica Niles, Emily Sierra (Orphelins nobles), Eliza Boom (Une modiste), Granit Musliu (Un marchand d’animaux)
Chor der Bayerischen Staatsoper, Stellario Fagone (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Vladimir Jurowski (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Rufus Didwiszus (décors), Victoria Behr (costumes), Alessandro Carletti (lumières)


(© Wilfried Hösl)


Le dimanche 23 mars 2021, le rideau se levait à Munich sur une production flambant neuve du Chevalier à la rose de Richard Strauss. Un événement considérable, si l’on se souvient que la mise en scène précédente, signée Otto Schenk et Jürgen Rose, avait occupé l’affiche pendant quarante‑neuf ans en continu au Nationaltheater, où son évidence et sa beauté visuelle continuaient à lui valoir un attachement quasiment sentimental. Une page essentielle se tournait là, mais seulement devant des caméras, la salle restant déserte pour les raisons que l’on sait. Une « première » à vivre exclusivement par écrans interposés, et dont l’orchestre famélique d’une trentaine de musiciens dûment distanciés ressemblait davantage à celui d’Ariadne à Naxos qu’à celui d’un Chevalier à la rose. Lugubre époque !


Un an plus tard, on se réjouit d’autant plus de pouvoir enfin évaluer le brillant travail du metteur en scène Barrie Kosky devant une vraie salle comble, avec des chanteurs portés par l’enthousiasme du direct et un orchestre du format adéquat, musiciens d’élite dont on rappelle qu’il restent les meilleur spécialistes mondiaux de l’ouvrage, avec ceux du Wiener Staatsoper et ceux du Semperoper de Dresde.


On commence par le meilleur : un premier acte éblouissant, dans un sublime décor rococo noir et argent. L’action passe comme un rêve, visions qui semblent sortir de l’imagination même d’une Maréchale obnubilée par la fuite du temps. C’est par la porte d’une horloge qu’arrivent la Maréchale et Oktavian, et c’est là que retournera la Maréchale, pensive, à la fin de l’acte, bercée mélancoliquement sur le balancier. L’emploi est en or pour Marlis Petersen, Maréchale qui n’est cependant pas du format conventionnel attendu, ne serait‑ce que faute d’ampleur vocale. L’illusion est pourtant très bien entretenue, et il faut certaines répliques clés, où on garde dans l’oreille les grandes titulaires du passé, pour s’apercevoir qu’il manque quelque chose. Mais peu importe, tant le rôle est fouillé, grâce à l’apport subtil du metteur en scène mais aussi grâce aux facultés d’analyse d’une chanteuse d’une remarquable intelligence. Sublimement habillée (et aussi un rien déshabillée au début), Marlis Petersen déploie tout l’arsenal de séduction d’une femme encore jeune, vive voire espiègle, mais indiscutablement de haut rang. Dans un Chevalier à la rose réussi, il faut pouvoir tomber soi‑même amoureux de la Maréchale, en se laissant éblouir par le chic et la vibrante féminité du rôle, et ici c’est le cas.


Autant le premier acte est centré sur la Maréchale, autant le deuxième, pas moins onirique, l’est sur la toute jeune Sophie. A part qu’ici le rêve, exalté et virginal, ascension sociale et prince charmant, tourne rapidement au cauchemar. Là encore, aucun faux pas, avec un début tout rutilant (l’arrivée d’Oktavian, dans un carrosse de gala au kitsch d’autant plus réjouissant qu’il est authentique, puisqu’il s’agit de la réplique d’un vrai véhicule d’apparat, construit en son temps pour Louis II de Bavière), et ensuite une bascule vers un érotisme bucolique désopilant, à mesure que Sophie doit subir les assauts d’un fiancé insupportablement lourd. De toutes les peintures académiques du décor (les goûts picturaux de Faninal sont dispendieux mais surtout très ciblés : beaucoup de bacchanales coquines, par de multiples peintres pompiers) surgissent des satyres cornus, à la poursuite de dryades qui tentent laborieusement de s’échapper. Au moment où même Faninal, sa duègne et le couple d’intrigants italiens arborent eux aussi des cornes mythologiques, le délire est à son comble. Excellent aussi, le jeu autour du lit de la jeune fille, très mobile, sur lequel se passent énormément de choses. L’an dernier, sur écrans, on découvrait dans cet acte la délicieuse Sophie de la soprano kirghize Katharina Konradi, relais pris maintenant par la jeune Américaine Liv Redpath, autre révélation. Moins de piquant peut‑être, déjà un peu plus de plomb dans la tête (de vrais atouts pour l’acte suivant), mais un physique avenant et une voix juste assez grande, qui sait délicieusement flotter dans l’aigu.


L’acte III est celui d’Oktavian, un peu plus difficile à organiser, dans cette perspective de focalisation très intense sur un seul rôle à la fois. Déjà à l’écran, il paraissait plus artificiel, dans une esthétique Bauhaus pas vraiment flatteuse. On devrait s’y sentir davantage dans les bas‑fonds, atmosphère trouble que les coulisses d’un plateau de théâtre dans le théâtre restituent mal. La scénographie manque de fluidité, voire se retrouve un long moment en panne : laborieux éclaircissements du quiproquo autour d’une table, arrivée de la Maréchale plutôt ratée, et Mariandl très criailleuse de Samantha Hankey, Oktavian pourtant parfait jusqu’ici, doté d’un physique androgyne idéal à la Brigitte Fassbaender, mais sans toutes les subtilités ni les rechanges de couleurs de son illustre devancière. Heureusement, Kosky est un homme de goût, son sens de la farce n’est jamais trop lourd, et puis de toute façon l’intérêt se rétablit pleinement ensuite : un trio d’une mélancolie subtilement incarnée, et enfin la poésie naïve d’un duo final joliment aérien, et pas qu’au sens figuré.


A l’origine Richard Strauss proposait Ochs, comme titre pour cette Komödie für Musik, un choix peu euphonique, celui, plus élégant, de Der Rosenkavalier ayant finalement prévalu. Ce rôle du Baron Ochs reste cependant d’une telle importance stratégique qu’il est à peu près impossible à rater, même s’il y a des Ochs plus séduisants et/ou imposants que d’autres. Or Christoph Fischesser a vraiment tout pour lui : un bon bougre, juste un peu rustique et brut de décoffrage, mais qui fait bonne figure sous ses habits du dimanche, un personnage très fouillé, hâbleur sûr de lui mais bourré de tics, à la voix somptueuse, dont les graves nourris voire les phrases en parlando arrivent sans problème jusqu’au fond de la salle. Pour ce titulaire exceptionnel, on a même rouvert toutes les coupures pratiquées dans le rôle, pourtant usuelles ici depuis cinquante ans. Dans ces passages‑là (simple suggestion ou réalité ?) l’orchestre paraît d’ailleurs un peu moins sûr, comme s’ils ne lui étaient effectivement pas aussi familiers.


Le Rosenkavalier est chez lui à Munich, production d’Otto Schenk ou pas. On peut donc s’attendre à un ensemble parfait, où pas une silhouette ne manque de relief, et c’est le cas, jusqu’au moindre majordome. Et n’oublions pas le Faninal de Johannes Martin Kränzle, très actuel en père de famille arriviste, voire encore vert. A noter aussi un valeureux Chanteur italien, débarqué à Munich une heure avant le lever de rideau, pour remplacer Galeano Salas souffrant : le ténor canadien Josh Lovell, nullement décontenancé par une mise en scène pourtant difficile à assimiler en aussi peu de temps (une échappée chorégraphiée vers l’opera seria baroque, dans un costume historiquement documenté mais aussi très encombrant).


Quant à l’orchestre, entendu tant de fois dans l’ouvrage et jamais décevant, on s’en souviendra surtout, sa vie durant, pour deux moments de grâce vécus sur place : sous la baguette de Carlos Kleiber (l’un de nos plus grands souvenirs de tout jeune passionné d’art lyrique) puis sous celle, tourbillonnante et subtile, de Kirill Petrenko. Avec Vladimir Jurowski, c’est à présent une autre ère qui s’ouvre, toute en efficacité et en précision, mais avec moins de poésie et surtout moins de fluidité aérienne dans les rythmes à trois temps. Une direction pour l’instant pas tout à fait au même niveau que celle de ces deux prestigieux devanciers, mais l’approche reste brillante, ne serait‑ce que grâce aux timbres d’un orchestre de rêve.



Laurent Barthel

 

 

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