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Sur les cimes du désespoir

Paris
Bouffes du Nord
05/16/2022 -  et 21 novembre 2021 (Arles), 2 juin 2022 (Coulommiers)
Béla Bartók : Quatuor n° 2 en la mineur, opus 17, Sz. 67
Louis Vierne : Quintette pour piano et cordes, opus 42

Michel Dalberto (piano), Quatuor Elmire : Cyprien Brod, Yoan Brakha (violon), Hortense Fourrier (alto), Rémi Carlon (violoncelle)


Y. Brakha, C. Brod, H. Fourrier, R. Carlon


Réseau de concerts entièrement voués à la musique de chambre, La Belle Saison prend régulièrement ses quartiers au Théâtre des Bouffes du Nord. Excellente initiative que d’avoir couplé deux œuvres exactement contemporaines (1918), marquées au surplus par les affres de la guerre : le Deuxième Quatuor de Béla Bartók (1881‑1945) et le déchirant Quintette pour piano et cordes de Louis Vierne (1870‑1937).


L’occasion de découvrir le Quatuor Elmire : devancé par un CV des plus avantageux (artistes résidents à la Fondation Singer‑Polignac et à ProQuartet), il impressionne dans le Moderato initial par la concentration du geste et l’acuité d’écoute. Jouant debout – à l’exception du violoncelliste – comme pour mieux porter le contenu dramatique non exempt de références autobiographiques de la partition de Bartók, les musiciens insufflent un pessimisme amer et oppressant aux nombreux glissandos. Le volet central (Allegro molto capriccioso), hybride d’un scherzo et d’un rondo, exige une haute précision rythmique, sans quoi cette subtile mécanique d’horlogerie se délite. Défi relevé haut la main par les Elmire : si l’on a entendu des formations plus attachées à l’accentuation du folklore arabo‑berbère et de la csárdás, l’exécution des différents modes de jeu (staccato, pizzicatos, etc.) et des ostinatos rythmiques enflamme. Les parallélismes d’intervalles dissonants (triton, frictions polytonales) concilient précision du dessin et puissance de la projection.


La complainte lugubre du final préfigure la seconde partie de ce magnifique programme. Vierne composa le Quintette avec piano en pleine crise existentielle : la guerre lui enleva son frère et son fils (mort au front à 17 ans), cependant qu’il eut à subir d’atroces douleurs aux yeux. Troquant le Bechstein sur lequel il a enregistré son récent album Liszt (La dolce volta) pour un Bösendorfer, Michel Dalberto en exalte les basses charnues et caverneuses dans le Poco lento liminaire. Son jeu timbré, très en fond de touche, confère une frappe de médaille au thème chromatique que le compositeur exploitera tout au long de son œuvre. Les cordes se font l’échos douloureux de cet implacable ut mineur avant que le violoncelle n’entonne le plus lyrique second thème, bientôt repris par le violon. L’apogée, marquée par les octaves déclamatoires du clavier, succède à des passages plus fantomatiques auxquels l’acoustique donne une aura d’émanation. Le Larghetto sostenuto s’ouvre sur une cantilène d’alto, mais les tremolos ne tardent pas à gangréner le tissu musical sur quoi Michel Dalberto impose sa sonorité de bronze. Cette œuvre bouleversante se referme sur une sorte de tarentelle diabolique, sans le côté parodique du Méphistophélès de Liszt et de Scriabine : l’ut mineur le plus sombre y étend son empire jusqu’au bout. D’une parfaite cohésion avec un piano complice et réactif, le Quatuor Elmire fait valoir un jeu convulsif, décliné en ostinatos et en notes répétées.


Disons‑le sans ambages : le Quintette de Vierne, maillon qui relie Franck à Fauré (comme l’a souligné Harry Halbreich), est un authentique chef‑d’œuvre ; les interprètes de ce soir lui ont parfaitement rendu justice.



Jérémie Bigorie

 

 

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