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Le théâtre au concert

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/23/2022 -  et 22 (Rotterdam), 28 (Dortmund), 30 (Baden‑Baden) avril 2022
Richard Wagner : Das Rheingold
Michael Volle (Wotan), Gerhard Siegel (Loge), Samuel Youn (Alberich), Thomas Ebenstein (Mime), Wiebke Lehmkuhl (Erda), Stephen Milling (Fasolt), Mikhaïl Petrenko (Fafner), Jamie Barton (Fricka), Issachah Savage (Froh), Thomas Lehman (Donner), Christiane Karg (Freia), Iris van Wijnen (Wellgunde), Maria Barakova (Flosshilde), Erika Baikoff (Woglinde)
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet‑Séguin (direction)


Y. Nézet-Séguin (© Hans van der Woerd)


Une version de concert, mais personne n’a de partition et tout le monde joue cet Or du Rhin, prologue de L’Anneau du Nibelung. Si bien que le théâtre est là, parce que chacun s’identifie à son rôle. Presque trop parfois : l’Alberich de Samuel Youn, bloc de haine pure, timbre d’une noirceur mordante, brûle tellement les planches qu’il tombe dans le piège du Sprechgesang éructé et que l’on peine souvent à identifier ses notes. Tout le contraire de Michael Volle, pas la voix de bronze que l’on attend du dieu, déjà ici humain trop humain, rien moins que grisé par son pouvoir, mais d’une telle noblesse par le modelé de la ligne et l’approfondissement du personnage, dont il creuse les mots en Liedersänger, que nous tenons ici un Wotan digne du Walhalla. Au gnome ravira l’anneau grâce au Loge cauteleux et venimeux, de bonne tradition, de Gerhard Siegel, ténor de caractère comme le Mime de Thomas Ebenstein, qui, à l’inverse de son frère, conserve une tenue dans l’aigreur, rien moins qu’histrionique en souffre-douleur. Les paires, d’ailleurs, ne sont pas toujours parfaitement assorties. Ainsi, le « He da ! He da ! He do ! » du Donner de Thomas Lehman a du panache, mais l’arc‑en‑ciel du Froh d’Issachah Savage n’irradie pas assez. A côté du Fasolt de Stephen Milling, dont la voix et le style impressionnent, Mikhaïl Petrenko manque de noirceur et de profondeur, trop pâle pour Fafner, le plus ténébreux des géants. Le trio des sémillantes ondines, parfaitement chantant, pâtit aussi d’un certain déséquilibre : la délicieuse légèreté de la Woglinde d’Erika Baikoff est un peu écrasée par l’opulence de de la Wellgunde d’Iris van Wijnen et de la Flosshilde de Maria Barakova. Les déesses tiennent leur rang, Fricka capiteuse de Jamie Barton, pas encore mégère, Erda surgie de l’abîme de Wiebke Lehmkuhl, authentique contralto, alors que les quelques mesures tendues de Freia compromettent un peu la rondeur et la fraîcheur de Christiane Karg. Si la soirée appelle donc quelques réserves, la somme vaut ici mieux que l’addition des parties, parce que tout est emporté par la direction de Yannick Nézet‑Séguin. Chef de théâtre accompli, il tend l’arc de la première à la dernière note, dans un grand souffle, avec une grande clarté et des couleurs assez crues. Après un début assez terne, sans mystère, où le monde peine à émerger du néant, il galvanise un orchestre qui se dépasse, au plus haut niveau même s’il n’égale pas de plus illustres phalanges. Le public est transporté. On annonce les trois journées du Ring pour les prochaines années.



Didier van Moere

 

 

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