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Ménage à trois

Baden-Baden
Festspielhaus
03/27/2022 -  et 23 (Essen), 25 (Frankfurt), 29 (London), 31 (Luxembourg) mars, 3 (Paris), 7 (Madrid), 9 (Barcelona), 11 (Hamburg), 13 (Wien) avril 2022
Robert Schumann et Johannes Brahms : Lieder et duos
Diana Damrau (soprano), Jonas Kaufmann (ténor), Helmut Deutsch (piano)


H. Deutsch, D. Damrau, J. Kaufmann (© Andrea Kremper)


Diana Damrau, Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch, en tournée avec l’Italienisches Liederbuch d’Hugo Wolf, c’était il y a quatre ans, déjà ! Et aujourd’hui ce qu’on peut écrire de ce nouveau programme, exclusivement consacré à des Lieder et Duos de Schumann et Brahms, n’est pas très différent, si ce n’est qu’en peu d’années le monde de la culture et des concerts a connu beaucoup de vicissitudes. L’imposant Festspielhaus de Baden‑Baden était archi‑comble en 2018, ce qui, pour un programme Hugo Wolf, musique souvent considérée comme élitaire, était quasiment une bizarrerie. Aujourd’hui il est plus modestement garni, mais par un public davantage motivé, moins sensible au vedettariat qu’à la qualité intrinsèque de ce qu’il écoute, et qui observe un silence remarquable. Les tousseurs en salves qui avaient pilonné du début à la fin le récital de 2018 auraient‑ils tous disparu ? Ou ont‑ils simplement pris l’habitude de réprimer leurs pulsions laryngées, étouffées sous leur masque estampillé FFP2 ? C’est sans doute l’un des rares points positifs de la crise sanitaire, mais qui mérite d’être souligné.


Sur scène, toutes les recettes de la tournée précédente ont été reprises. A nouveau une tentative de scénarisation, en traitant chaque pièce comme un fragment d’histoire sentimentale : le devenir d’un couple d’amants, qui tantôt se rapproche, tantôt prend ses distances, s’apostrophe plus vivement, se querelle un peu, puis se rejoint, les deux protagonistes tombant enfin dans les bras l’un de l’autre après l’ultime péripétie. Schumann et Brahms ayant écrit un certain nombre de vrais duos vocaux, puiser de temps à autre dans cette catégorie apporte davantage de fluidité et de crédibilité, mais de toute façon, l’expérience et la maturité aidant, la dualité des présences sur scène, un chanteur en action, l’autre muet, mais réagissant avec force gestes et mimiques, paraît mieux gérée. En particulier, Jonas Kaufmann a appris à rester plus statique, à moins sautiller d’un pied sur l’autre, même s’il continue à en faire parfois un peu trop.


Deux partenaires, mais en réalité un ménage à trois, car il ne faut pas sous‑estimer le rôle joué par Helmut Deutsch, âgé de 76 ans maintenant. Non seulement un accompagnateur génial mais aussi le mentor, la véritable cheville ouvrière du projet. On sent son empreinte partout : dans le choix du programme, assemblé par un connaisseur encyclopédique du genre, mais aussi dans chaque inflexion du chant, l’accompagnateur s’étant souvent mué en professeur. L’influence sur le chant de Jonas Kaufmann paraît patente, avec un travail sur les nuances et la fusion avec l’accompagnement, qui a porté beaucoup de fruits. Le ténor bavarois reste fondamentalement un chanteur d’opéra, sa voix ayant vite tendance à devenir encombrante quand elle se trouve en déséquilibre sur les notes de passage. Or on sent constamment qu’Helmut Deutsch a posé des limites, balisage qui force la voix à se contenir, à creuser les sonorités de l’intérieur. Kaufmann y parvient en se mettant occasionnellement en danger, au risque de détimbrer, mais c’est aussi parce qu’on le devine acquis avec une certaine difficulté que le résultat devient extraordinaire. Le chanteur nous tient en haleine dans son périple technique, et quand il parvient tout à coup à enchaîner plusieurs phrases sur le fil d’un timbre continuellement assombri mais nourri, comme dans Waldeseinsamkeit de Brahms ou Mein schöner Stern de Schumann, le résultat est magique. « Wie schön ! », s’exclame presque involontairement ma voisine à l’issue de l’un des ce numéros de haute école, et elle a entièrement raison.


Moins de surprises et de nouveautés chez Diana Damrau, qui intrinsèquement maîtrise mieux les codes et les difficultés du lied. Sa voix reste celle d’un soprano relativement léger, même corsée avec le temps, et même si l’interprète déploie des trésors d’ingéniosité pour camoufler certains manques de substance. On retient surtout un piquant de bon aloi, qui trouve cependant moins son emploi que dans les Lieder de Wolf, et puis aussi une simplicité, une franchise, qui maintiennent un vrai contact avec le public. Qualité partagée avec Jonas Kaufmann, qui quand il chante davantage au centre de la tessiture, peut même retrouver quelques aspects très enjôleurs, tels qu’il a appris à les cultiver dans ses récitals d’opérette viennoise ou de variétés allemandes d’une autre époque, et qui fonctionnent toujours aussi bien. Le conteur aussi, comme par exemple dans Lehn deine Wang de Schumann, sait mettre le public dans sa poche.


Trente et un Lieder et sept Duos : le programme est copieux mais ne lasse jamais. Et puis de toute façon, même quand les voix se taisent, il y a toujours le miraculeux piano d’Helmut Deutsch, aux sonorités discrètement voilées et chaudes, d’une constance dans les dosages de nuances qui laisse admiratif. Avec trois protagonistes aussi investis, la première partie, intime, touchante, passe comme un rêve. La seconde se veut un peu plus détendue, variée, et parfois se disperse. Mais clairement, il paraît difficile de mieux servir ce répertoire aujourd’hui, si ce n’est artistiquement, du moins en maîtrisant aussi bien l’art de séduire et de convaincre.



Laurent Barthel

 

 

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