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La force tranquille d’un surdoué

Baden-Baden
Festspielhaus
02/19/2022 -  et 18 (Rotterdam), 20 (Luxembourg) février 2022
Felix Mendelssohn-Bartholdy : Meeresstille und glückliche Fahrt, opus 27 – Symphonie n° 3 en la mineur « Ecossaise », opus 56
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 23 en la majeur, K.  488

Rotterdams Philharmonisch Orkest, Lahav Shani (piano et direction)


L. Shani (© Andrea Kremper)


Pendant toute la nuit précédente, les rafales de la tempête Eunice ont déferlé sur l’Europe du Nord, mais l’Orchestre philharmonique de Rotterdam a quand même réussi à rallier Baden‑Baden dans les temps. S’agissant de la première petite tournée que l’orchestre parvient à concrétiser depuis la période COVID, la ferme motivation de tous a certainement contribué à braver les bourrasques. Et par quoi commence le programme, en cette fin d’après‑midi encore venteuse, sitôt les instruments déballés et les coiffures réarrangées ? Par une ouverture où il est question d’un voyage calme et heureux...


Dans Mer calme et heureux voyage, Mendelssohn s’est inspiré de Goethe, l’ami personnel de son père, ce poète célèbre, et sans doute impressionnant, qu’il appelait « Der alte Herr » (le vieux monsieur), quand lui‑même était encore un enfant surdoué. Meeres Stille, où une prosodie très calme évoque une mer d’huile, suivi de Glückliche Fahrt, où la métrique des vers s’anime : le vent se lève, pousse le bateau à vive allure vers son port d’arrivée. Quand il compose cette ouverture, Mendelssohn a 19 ans, et n’est plus vraiment un enfant prodige. Aujourd’hui Lahav Shani, 33 ans, ne l’est plus non plus, mais les deux partagent un destin exceptionnel, celui d’avoir tout pu tout aborder dès leur plus jeune âge avec la même déconcertante facilité. Et c’est donc en musicien mûr et sûr que Shani se présente devant l’orchestre dont il est directeur musical depuis bientôt quatre ans : sans partition, ni podium, ni baguette, contrôlant tout des mains (une gestique enveloppante, moins une battue qu’une sorte de suggestion impérieuse) et vraisemblablement surtout du regard. Les premiers accords sont impressionnants de gestion des phrasés et des nuances, tout paraissant parfaitement calibré, avant l’envolée plus franche de la partie médiane, seules quelques fanfares un peu trop sonores, lors de l’arrivée au port, paraissant échapper à l’ascendant du chef.


Une emprise qui s’exerce tout autant quand Lahav Shani est assis au piano, instrument placé frontalement, sans couvercle, devant les musiciens. Là les mains sont souvent occupées, mais aucun désordre n’est toléré. Quand tout à coup la flûtiste prend un peu de retard, et alors même que Shani est occupé par un trait pianistique assez vétilleux de la main droite, il suffit d’un seul geste sans équivoque, la main gauche surgissant tout à coup dans l’air, pour recaler tout le monde. Une ubiquité stupéfiante, alors même que Shani aborde ce Vingt-troisième Concerto de Mozart en public pour la première fois. Face au pianiste, la petite harmonie bénéficie certes d’une relative liberté, dans un esprit d’indépendance chambriste, et avec des équilibres sonores ici ou là perfectibles, mais cette liberté reste continuellement assujettie au contrôle mental du chef. Pour un résultat qui coule de source, voire paraît intemporel, Shani retrouvant à s’y méprendre la pureté essentielle des concertos de Mozart de son mentor Daniel Barenboim. En presque cinquante ans rien n’a évolué : un Mozart qui ne revendique aucune identité historicisante, et qui se contente de nous élever l’âme. Dans le grand vaisseau du Festspielhaus tout le monde retient son souffle, en particulier dans l’Adagio, sublime, où Shani parvient à chanter sa ligne pianistique en résistant à toute tentation d’ornementation. Très intéressantes cadences aussi, écrites par le soliste, sans rupture de ton mais avec un vrai contenu musical.


Même évidence pour la Troisième Symphonie de Mendelssohn, qui vient clore ce programme d’une découpe toute classique. Une musique toujours dirigée par cœur, où le chef va droit au but, ne s’embarrassant ni de détails ni de fioritures : l’orchestre paraît juste invité à donner le meilleur de lui-même, et le donne effectivement (quand il s’agit des musiciens de Rotterdam, ce n’est pas peu dire). Face à un tel ascendant, et en même temps une telle absence de signaux physiques décryptables donnés à l’orchestre, c’est même à certains concerts d’Herbert von Karajan que l’on pense, où le chef ne paraissait plus diriger ses musiciens berlinois, mais les contrôler exclusivement par son emprise mentale. Ici la comparaison avec Kirill Petrenko, dirigeant cette même symphonie dans la même salle il y a quelques mois, est intéressante : Petrenko gère tout du geste et obtient un résultat millimétré, riche d’une myriade de détails. Shani laisse davantage la musique de Mendelssohn couler de source, jusqu’à l’enchaînement parfait (et très difficile à réaliser) des différents tempi dans le Finale (guerriero d’abord, maestoso ensuite). Le résultat est grisant.


Pour finir : « La Fileuse », romance sans paroles qui dévide ses doubles croches parée d’un joli habillage instrumental. Orchestration signée... Lahav Shani, un jeune homme qui décidément sait tout faire !



Laurent Barthel

 

 

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