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Un spectacle sauvé par la musique

Milano
Teatro alla Scala
02/23/2022 -  et 5, 8, 13*, 15 mars 2022
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : La Dame de pique, opus 68
Najmiddin Mavlyanov (Hermann), Julia Gertseva (La Comtesse), Asmik Grigorian*/Elena Guseva (Lisa), Roman Burdenko (Le Comte Tomski), Alexei Markov (Le Prince Eletski), Yevgueny Akimov (Tchekalinski), Alexei Botniaciuc (Sourin), Sergei Radchenko (Tchaplitski), Matías Moncada (Naroumov), Brayan Ávila Martínez (Le Maître de cérémonie), Elena Maximova (Pauline), Olga Savova (La Gouvernante), Maria Nazarova (Macha, Prilepa), Olga Sanyakova (Milovzor)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation du chœur), Orchestra del Teatro alla Scala, Valery Gergiev/Timur Zangiev* (direction musicale)
Matthias Hartmann (mise en scène), Volker Hintermeier (décors), Malte Lübben (costumes), Mathias Märker (lumières), Paul Blackman (chorégraphie), Michael Küster (dramaturgie)


(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)


Le soir du 23 février, Valery Gergiev dirigeait la première d’une nouvelle production de La Dame de pique à la Scala. Le lendemain, la Russie entamait son invasion de l’Ukraine. Sommé par le maire de Milan de condamner la guerre et de se distancier de Vladimir Poutine, le « tsar de la baguette » n’a jamais pris la peine de répondre, si bien qu’il a été évincé. C’est un autre chef russe qui a alors été chargé de le remplacer pour les quatre autres représentations prévues : Timur Zangiev, né en 1994 et qui n’a dirigé jusqu’ici qu’à Moscou et à Saint‑Pétersbourg. Il a été l’assistant de Valery Gergiev à Milan, faisant répéter l’Orchestre de la Scala à la place de son illustre aîné, lequel a en fait très peu travaillé sur le spectacle. Les musiciens auraient particulièrement apprécié la collaboration avec le jeune maestro, de sorte que la décision de l’engager a été une évidence. Les critiques italiens qui ont assisté à la prestation de Valery Gergiev sont dithyrambiques, parlant de couleurs encore jamais entendues et de frémissements inouïs. S’il ne peut (encore) se hisser au même niveau, Timur Zangiev a néanmoins fait forte impression par sa tranquille assurance et son autorité, réussissant même à imprimer sa marque personnelle, en livrant une interprétation plutôt sobre et intériorisée ; il a été très chaleureusement applaudi au rideau final.


La partie visuelle du spectacle ne suscite malheureusement pas le même enthousiasme. Matthias Hartmann a signé une production quelconque, très statique, où les chanteurs sont le plus souvent livrés à eux‑mêmes, se retrouvant sur le devant de la scène pour interpréter leurs airs. Même Asmik Grigorian, qui d’ordinaire irradie de sa présence toutes les productions auxquelles elle participe, semble empruntée, c’est dire. L’intrigue se déroule dans des décors pratiquement nus, en noir et blanc : des parois de néons d’abord pour évoquer un jardin, au milieu duquel trône une poubelle avec un sac plastique, puis d’immenses voilages et d’énormes coussins, sous lesquels se cachera Hermann pour ne pas être vu de la Comtesse, déclenchant les rires du public ; la chambre de cette dernière est délimitée par des parois matelassées et la scène du bal se distingue par ses imposants chandeliers qui égaient quelque peu l’ensemble. Les costumes sont eux aussi noirs et blancs. Par ailleurs, le metteur en scène use et abuse des fumigènes. L’idée maîtresse de Matthias Hartmann a été d’intégrer au spectacle le Comte de Saint‑Germain, qui a dévoilé le secret des cartes à la jeune Comtesse à Paris, pour le prix d’une nuit d’amour. Le Comte est mentionné dans la ballade de Tomski et c’est chez lui que se déroule le bal masqué du deuxième acte. Très bien, mais on ne voit pas ce que cela apporte. Seuls les splendides jeux de lumière, notamment pour l’apparition de la Comtesse dans l’esprit d’Hermann puis pour le suicide de Lisa, rachètent un tant soit peu l’indigence de cette mise en scène, qui ne restera pas dans les mémoires.


La mise en scène, ou plutôt l’absence de mise en scène, serait‑on tenté de dire, permet au moins de se concentrer sur le chant, et c’est tant mieux car la distribution vocale est d’excellente facture. Elle est emmenée par la Comtesse hallucinée de Julia Gertseva, chacune de ses apparitions étant un spectacle en soi, fantôme proche de la mort avec son masque parfaitement blanc, mais aux accents impérieux et cassants, bref une splendide incarnation. La Lisa incandescente d’Asmik Grigorian atteint les mêmes sommets, avec son timbre vibrant et émouvant, son naturel époustouflant et ses accents déchirants de femme éperdument amoureuse qui va tout sacrifier pour Hermann. Un Hermann solidement incarné par Najmiddin Mavlyanov, qui, malgré des aigus parfois un peu forcés, offre un portrait généreux et ardent d’un homme partagé entre son attraction pour le jeu et ses sentiments pour Lisa. Prince Eletski au chant raffiné, Alexei Markov délivre une superbe prestation de l’air certainement le plus célèbre de l’opéra, dans lequel il déclare son amour à Lisa. On mentionnera aussi la touchante Pauline d’Elena Maximova. Les rôles secondaires sont tous excellents, de même que le Chœur de la Scala. Le spectacle a incontestablement été sauvé par la musique.



Claudio Poloni

 

 

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