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Une folie jubilatoire

Rennes
Opéra
03/03/2022 -  et 5*, 7, 9 (Rennes), 22, 24, 26, 28, 30 (Nantes) mars 2022
Igor Stravinsky : The Rake’s Progress
Julien Behr (Tom Rakewell), Elsa Benoit (Anne Trulove), Aurore Ugolin (Baba the Turk), Thomas Tatzl (Nick Shadow), Christopher Lemmings (Sellem), Alissa Anderson (Mother Goose), Scott Wilde (Father Trulove)
Mélisme(s), Gildas Pungier (chef de chœur), Orchestre national de Bretagne, Grant Llewellyn*/Rémi Durupt (direction musicale)
Mathieu Bauer (mise en scène), Chantal de la Coste (scénographie, costumes), Lionel Spycher (lumières), Florent Fouquet (vidéo)


E. Benoit, J. Behr (© Laurent Guizard)


Il faut courir applaudir cette production en tout point réussie du plus important chef-d’œuvre lyrique de Stravinski, qui confirme l’opportune association entre les opéras de Nantes et Rennes en tant que coproducteurs : outre un plateau vocal proche de l’idéal, on se réjouit de découvrir le travail de Mathieu Bauer (né en 1971) pour ses premiers pas au service d’une grande forme lyrique. L’ancien directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil (entre 2011 et 2021) a en effet manifesté tout au long de son mandat un vif intérêt pour la musique, que ce soit en adaptant plusieurs ouvrages lyriques (Les Larmes de Barbe‑Bleue d’après Bartók ou Tristan et... d’après Wagner) ou en ajoutant des musiciens sur scène à ces propositions théâtrales (notamment Shock Corridor d’après Samuel Fuller). Dans la scène faustienne où Shadow demande des comptes à son obligé Rakewell, Bauer reprend cette idée en plaçant le clavecin (dont l’aspect minimaliste évoque judicieusement un cercueil) aux côtés des interprètes, renforçant le caractère sinistre de la joute.


Shadow représente‑t‑il le diable ou bien est‑il seulement le double « maléfique » de Rakewell ? La mise en scène de Bauer se garde bien de trancher, même si elle insiste d’emblée sur la fragilité de Rakewell, dont le pyjama autant que les regards perdus face au public suggèrent son addiction à l’inaction et la rêverie, voire les prémisses de sa folie. Entre récit initiatique et conte moral, le parcours de Rakewell prend place dans l’univers visuel corseté des années 1950‑1960, évoqué par de savoureuses saynètes et références vidéo (publicités et extraits de films notamment) projetées sur le décor. Le caractère falot de Rakewell, influencé par la malice de Shadow, fait souvent penser à l’insouciance fantasque des deux héros du film Le Fanfaron (1962) de Dino Risi. Lorsque Rakewell se grime à la manière de son mentor, il revêt des habits trop grands pour lui, comme si ses désirs de réussite à Londres étaient déjà condamnés. Les fréquents allers‑retours avec le public montrent aussi combien Rakewell cherche une reconnaissance narcissique dont il reste constamment prisonnier, tout en permettant aux spectateurs de trouver une distanciation bienvenue pour apprécier la satire. Bauer soigne aussi la direction d’acteurs au niveau des déplacements du chœur de chambre Mélisme(s), tout en renouvelant costumes et éclairages, très différenciés au gré de l’action. La saisissante scène des enchères, en partie dans la pénombre, met ainsi en valeur chaque interprète au moyen de lampes torches tournées vers les visages, renforçant le caractère spectaculaire de la farce tragique.


Il faut dire que la direction alerte et admirablement étagée de Grant Llewellyn se délecte de l’orchestration aérée et très rythmique de Stravinsky, donnant beaucoup de vitalité à l’ensemble, sans jamais couvrir le plateau. Le chef gallois, malmené par un accident vasculaire cérébral en août dernier, donne le meilleur d’un Orchestre national de Bretagne en grande forme. Sur scène, Julien Behr irradie dans le rôle principal, qui semble avoir été écrit pour lui. Il faut voir avec quelle présence physique il s’empare des errances de Rakewell, sans jamais se départir d’une aisance technique confondante sur toute la tessiture (hormis un aigu un peu serré par endroit). A ses côtés, Elsa Benoit (Anne Trulove) n’est pas en reste à force de subtilité et de rondeur d’émission : l’ancienne chanteuse du chœur Mélisme(s) fait un retour grandement applaudi à Rennes, de même que la tonitruante Aurore Ugolin (Baba), aux accents et couleurs irrésistibles de caractère et de drôlerie. On aime aussi le Nick Shadow de Thomas Tatzl, à l’articulation et à la projection idéales, même s’il peine parfois dans les passages rapides. Tous les seconds rôles tiennent parfaitement leur partie, au premier rang desquels le superlatif Scott Wilde (Father Trulove).


Un spectacle vivement recommandé, à voir à Rennes jusqu’au 9 mars, puis à Nantes du 22 au 30 mars.



Florent Coudeyrat

 

 

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