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Trilogie sacrée Paris Philharmonie 02/20/2022 - et 25 février (Bordeaux), 5 (Essen), 12 (Versailles) 2022 Anonyme : O Traurigkeit, O Herzeleid !
Johann Sebastian Bach : Johannes-Passion, BWV 245 – Cantate « Sehet, wir geh’n hinauf gen Jerusalem », BWV 159 : 1. Arioso et récitatif « Sehet! Wir gehn hinauf gen Jerusalem », 2. Air « Ich folge dir nach durch Speichel und Schmach » et choral « Ich will hier bei dir stehen » et 4. Air « Es ist vollbracht »
Jacobus Handl dit Gallus : Ecce quomodo moritur Julian Prégardien (Evangéliste), Huw Montague Rendall (Jésus), Ying Fang (Marie Jacobi, Une âme), William Shelton (Marie Madeleine, Une âme), Laurence Kilsby (Un garde), Christian Immler (Pilate, Jean, Un garde), Perrine Devillers (Une servante, Une âme), Pierre Virly (Pierre)
Pygmalion, Raphaël Pichon (direction)
Bertrand Couderc (lumière)
R. Pichon (© Etienne Gautier)
La Philharmonie de Paris vient de consacrer trois journées à la musique religieuse. Dans cet ensemble « Prophéties », Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion ont avec « Christus, trilogie sacrée » évoqué trois époques de la vie du Christ.
Lors de la saison 2017‑2018, Raphaël Pichon avait conçu pour la salle de la Cité de la musique une passionnante série de concerts, « Bach en sept paroles », autour de cantates de Jean‑Sébastien Bach. Le projet associait à chaque concert des artistes de diverses branches des arts plastiques, audiovisuels et de la danse avec de somptueux éclairages mais aussi des effets de mise en scène qui n’apportaient pas grand‑chose à la musique. Aurait‑il écouté la voix de la raison car c’est pour la musique de Bach et pour l’entendre dans ses magnifiques réalisations que le public se mobilise ? De ces expériences passées reste l’effet positif que désormais les concerts de Pygmalion bénéficient d’éclairages somptueux toujours signés par Bertrand Couderc, éclairagiste réputé dans le monde du spectacle, et d’une mise en espace d’une très belle sobriété, les deux parfaitement en phase avec l’interprétation des cantates, oratorios et passions de Bach et ses contemporains.
La grande salle de la Philharmonie, dans laquelle se déroulaient ces trois concerts, est acoustiquement parfaitement adaptée à l’ensemble Pygmalion, dont les musiciens et les choristes sont arrivés à une quasi‑perfection dans l’équilibre sonore. La direction de Raphaël Pichon est d’une fluidité complète et il semble avoir assoupli et déraidi sa gestuelle. On n’a pas le souvenir d’avoir entendu chanter avec autant de ferveur et d’empathie le chœur final « Ruht wohl ihr heiligen Gebeine ».
Pour la plupart des solistes de ce concert, la taille de la salle n’est pas adéquate à leur volume vocal et à leur capacité de projection. On exclut de cette remarque l’exceptionnel ténor allemand Julian Prégardien, le meilleur Evangéliste du moment, qui a illuminé toute cette passion de sa présence charismatique et de l’intensité dramatique de son interprétation autant dans les airs que dans le récit. Le soprano chinois Ying Fang a pu aussi dans ses deux airs faire apprécier un timbre très clair et une projection satisfaisante. Sara Mingardo, souffrante, a été remplacé par « le jeune talentueux contre‑ténor William Shelton ». Tout au mérite de ce remplacement, son talent n’allait malheureusement pas jusqu’à faire passer un très mince filet de voix dans la salle et si ses deux airs étaient chantés avec assurance, il donnait un peu l’impression de déchiffrer les parties de récit. De même avec un peu plus de volume mais si peu de couleurs dans la voix et une grande monotonie du timbre, le baryton britannique Huw Montague Rendall décevait, ne donnant que peu de relief à la partie de Jésus. S’il imposait un peu d’autorité aux déclamations de Pilate, Christian Immler a le timbre trop gris et usé pour donner sa splendeur à son air « Eilt, ihr angefochtenen Seelen ».
Dans l’excellent texte de présentation du programme. Gilles Cantagrel rappelle qu’il existe quatre versions, même une cinquième inachevée, de la Passion selon saint Jean. C’est la première version de 1724, avec des ajouts de la deuxième du Vendredi Saint de l’année suivante, qu’a choisi Raphaël Pichon pour ce concert. Selon son habitude, il a enrichi suivant une tradition de l’époque de Bach qui puisait dans le Florilegium Portense, recueil qui contenait plus d’une centaine de motets pour enrichir l’office. Pour ce concert, il a fait précéder la Passion par un motet anonyme, O Traurigkeit, O Herzeleid !, chanté a cappella dans les hauteurs de la salle par un soprano du chœur. Au début de la seconde partie (l’œuvre était donnée sans interruption avec un excellent surtitrage), il a introduit une grande sinfonia instrumentale dans lequel s’insère génialement le choral de Martin Luther Christe, du Lamm Gottes invoquant l’Agneau de Dieu, harmonisé à quatre voix. A la fin de la première partie ont été ajoutés trois extraits de la Cantate « Sehet, wir geh’n hinauf gen Jerusalem » (BWV 159), une des toutes dernières composées par Bach. Mais l’ajout le plus notable était l’interpolation juste avant l’air avec choral « Mein teurer Heiland, lass dich fragen » d’un motet funèbre de Jacobus Handl dit Gallus, compositeur slovène de la Renaissance, Ecce quomodo moritur justus (Voyez comme le juste meurt sans que personne ne le remarque). Ce motet en latin du Florilegium Portense délivrait un message d’apaisement très philosophique parfaitement salutaire après l’extrême tension du récit de la Crucifixion.
Le concert en intégralité sur Arte Concert:
Olivier Brunel
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