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Trois Opéras de Chambre, ou un tiercé presque gagnant.

Bordeaux
Molière - Scène d'Aquitaine
01/18/2002 -  
Gian Carlo Menotti : The Telephone, ou l’Amour à trois.
Erik Satie : Le Piège de Méduse.
Darius Milhaud : Le Pauvre Matelot.

Caroline Fèvre (Lucy), Nigel Smith (Ben).

Jean Ségani (Le baron Méduse), Caroline Fèvre (Frisette), Nigel Smith (Astolfo),
Jean-François Gardeil (Polycarpe, rôle parlé).

Jean-Luc Maurette (le matelot), Maryse Castets (sa femme),
Jean-François Gardeil (son ami), Jean Ségani (le père).

Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Marc Trautmann (direction).

Jean-François Gardeil (qui mène la danse)(Mise en scène).


La belle idée que voilà : l’Incontro improvviso de Bordeaux ! Réunir au sein d’un savoureux triptyque trois « petites » raretés aux esthétiques a priori dissemblables, voire inconciliables. D’abord, l’Italo-Américain Gian Carlo Menotti (né en 1911), davantage connu pour le Medium ou ses captivants Canti della Lontananza (écouter le superbe album de Richard Hickox chez Chandos, couplé avec l’opéra en un acte Martin’s Lie…). Ensuite, le Français à l’humour féroce Erik Satie, et l’un des joyeux et gais lurons de la Bande des Six, Darius Milhaud, très connu pour sa Vénus (pardon pour cette plaisanterie à deux euros !) Saluons bien bas le courage et l’investissement du baryton - metteur en scène Jean-François Gardeil, qui ne subit pas l’imperium actuel de certaines salles d’opéra… Commencer une saison lyrique par un aussi étonnant « triplage » mérite une attention toute particulière.


Au cours d’une conférence divertissante (non chichiteuse ou guindée), donnée en marge des représentations, ce maître d’œuvre, qui chante dans le troisième volet et joue dans le deuxième, déroule le fil rouge de sa conception globale : une thématique commune et toujours d’actualité lie les trois pièces musicales - le terrifiant manque de communication d’une société en pleine déréliction… Premier bijou : le Téléphone de Menotti, créé en 1947 ; satire sociale, opéra-bouffe, comédie musicale ? Pamphlet philosophique, qui tend a démontrer que le bonheur, ce n’est pas simple comme un coup de fil.


Dans son luxueux appartement, Lucy, charmante créature aux formes pulpeuses est affublée d’un terrible défaut : elle est rivée en permanence au téléphone, avec lequel elle fait corps. Elle papote, caquette, pendant que son malheureux fiancé s’évertue en vain à lui avouer sa flamme. Mais, excédé, il sera obligé de l’appeler d’une cabine voisine pour se déclarer. Propos visionnaire de Menotti - l’on accorde davantage d’imporance à un interlocuteur invisible qu’à l’être en chair et en os, bien réel lui, qui se tient devant soi. Dans ce vaudeville à la Woody Allen, la musique vise juste : du Puccini swingué avec des clins d’œil aux grands compositeurs de lyrics : Gerschwin, Porter ou Jerome Kern. On entend presque un Mozart léger et grave qui aurait séjourné à Broadway…


Les deux solistes sont fabuleux ; sans abuser du compliment obséquieux, Caroline Fèvre en Lucy a tout pour elle : une plastique irréprochable de brune brûlante, et une voix melliflue, puissante pourtant, de soprano lyrique à la technique colorature - denrée rare en ces temps de disette - sachant parfaitement vocaliser, user à merveille de son timbre fruité, capable d’ineffables piani dans les furtifs moments de tendresse. Elle est dotée d’un jeu expressif à la Rita Hayworth de Gilda, d’une diction impeccable (l’opéra est joué en français). Au même niveau d’excellence, le baryton Nigel Smith à l’émission mordante ; et l’orchestre de chambre - présent sur la petite scène du théâtre - tissu de la plus riche des toiles, sur laquelle les voix se posent comme des papillons voltigeurs.


A côté, la loufoquerie surréaliste de Satie a du mal à passer la rampe : c’est une musique de scène, avec les défauts inhérents à ce genre. Beaucoup (trop !) de texte, celui de Cocteau, à l’humour désuet qui tombe à plat ; et des interludes musicaux uniformes, sans véritable personnalité. Que l’on écoute les Mamelles de Tirésias, et l’on comprendra la différence qui sépare le génie (Poulenc) du simple talent. Très beau décor, qui évoque par ses tons rouges et jaunes le peintre Miró. Hors Menotti, l’autre gifle viendra avec le Pauvre Matelot, toujours d’après Cocteau. Il s’agit d’un cas psychiatrique qui eût séduit Freud ou Lacan : une femme vit dans l’attente du retour se son matelot de mari, parti depuis quinze ans, et le souvenir du cher disparu. Que ce dernier revienne enfin, cette ingrate Pénélope ne le reconnaît pas et le tue : elle pourra à nouveau rêver de l’absent…


Milhaud a écrit une très complexe partition polytonale (osons parler d’atonalité restructurée et aussitôt déconstruite), une rutilante poussière de saphir aux folles embardées, qui ne ménage guère les voix. Les harmonies déchirées se dissolvent les unes dans les autres. Il faut tout le brio d’un quatuor de solistes aguerris (merveilleuse Maryse Castets, en épouse meurtrière) pour dominer un cantabile très particulier, qui est en conflit permanent avec une marée orchestrale fulminante - une sidérante muraille sonore. Exemple au dernier acte : le court interlude quasi « bergien » entre les percussions, le cor et les pizzicati désolés de la contrebasse, puis des cordes… A Bordeaux, Jean-François Gardeil spielt auf : expérience originale et réussie.



Etienne Müller

 

 

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