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La louve au naturel

Paris
Philharmonie
02/02/2022 -  et 3 février 2022
Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54
Anton Bruckner : Symphonie n° 7

Hélène Grimaud (piano)
Orchestre de Paris, Daniel Harding (direction)


H. Grimaud


Sitôt l’Orchestre de Paris installé et applaudi, elle ne se fait pas prier pour apparaître. Hélène Grimaud entre sur scène en haut blanc et pantalon fluide noir, avance derrière le chef Daniel Harding, salue sobrement avec lui, puis s’assied quand lui lève déjà sa baguette ; vite, entrer dans la musique, dans le Concerto pour piano de Schumann, devenu concerto après avoir été une pièce autonome, une Phantasie pour piano et orchestre. « Schumann avait écrit un concerto sans orchestre, voici maintenant un concerto sans soliste » a écrit Liszt, phénoménal pianiste démonstratif, tout l’inverse de Schumann, qui a renoncé à une carrière de concertiste après avoir endommagé ses doigts. Il n’est donc pas question de virtuosité dans cette œuvre ; le piano et l’orchestre dialoguent et s’accompagnent mutuellement sur une trame monothématique où Florestan et Eusebius – l’impulsif passionné et le rêveur mélancolique, les deux personnages du compositeur – s’affrontent.


L’entrée d’Hélène Grimaud est violente sur les croches, la meute de ses doigts est lâchée en plein paysage florestanien avant que le paisible chant des hautbois freine soudain le galop ; la pianiste laisse alors traîner la petite note la comme point d’appui pour exposer tout en rubato le thème principal, puis accélère de nouveau dans les différents ponts du premier mouvement. Cette façon de jouer, alternant vivacité et suspension, raideur et expression, caractérise la femme aux loups qui semble refuser les tendresses et sensualités trop humaines ; le jeu y gagne en sagacité mais il manque parfois le son rond et chaud, celui qu’on aime entendre chez Martha Argerich, celui qui sert de liant entre rêverie et déchirement. Mais ce qui fascine chez Grimaud, c’est son jeu haletant et autistique, à l’opposé du style glam en décolleté des jeunes concertistes actuelles. La belle Hélène ne vient pas sur scène exhiber des fragments de nudité affectée mais bien expulser sa sauvagerie intérieure ; c’est toute l’intériorité de Grimaud que l’on vient écouter, et si l’on se tord le cou pour mieux apercevoir son minois entre toutes les têtes du public, c’est pour saisir comment beauté et folie se confondent et demeurent indomptables.


Moment de grâce inattendue : la réexposition du thème en la majeur, d’une moelleuse clarté, moment de tendresse. Dans le deuxième mouvement, la soliste se fait moins pressée, l’orchestre fusionne mieux avec elle, la mélodie des violoncelles aux accents déjà tristanesques s’y prête et les cheveux de Grimaud aux reflets d’or ondulent plus doucement ; ça y est, nous y sommes avec Florestan, tristement assis au pied du vieux chêne, comme dirait Lamartine. Mais dans le troisième mouvement, le piano redevient furieux, la course reprend, impitoyable. Curieusement, la pianiste ne marque pas tant les sforzandos sur les accords diminués de la mélodie descendante et l’orchestre manque un peu de sautillement sur le second thème, mais tout finit brillamment – marches de quintes, cadenza, coda – presque trop vite. A cette vitesse, Schumann pourrait trouver que son concerto est bel et bien une œuvre pour virtuose.


Grimaud salue, trois, quatre fois, avec Harding, qui reste en retrait. Il y a une part d’idolâtrie dans nos applaudissements, où se mêlent esthétisme et chauvinisme ; même si Grimaud vit la plupart du temps aux Etats‑Unis, elle est bien un talent français, né à Aix‑en‑Provence et formé au Conservatoire de Paris. Les acclamations continuent. Elles renferment aussi une part de nostalgie... Devant la silhouette inchangée de l’artiste de 52 ans, on se rappelle la jeune Hélène embrassant ses loups dans Envoyé Spécial et publiant Variations sauvages au début des années 2000, années d’avant internet et son déversoir d’images, années où l’on s’attardait plus longuement sur les pochettes de disques aux couleurs vives. Certains diront que son histoire d’amour avec les loups, c’est encore du marketing, mais la communion avec la Nature, le retour à l’état sauvage, n’est‑ce pas aussi une aspiration romantique ? Schumann avait d’ailleurs écrit que « la nature enseigne le mieux comment prier et comment révéler tous les dons que le Tout‑Puissant nous a donnés ».


A ce niveau d’élévation, la Septième Symphonie de Bruckner est la bienvenue. Le chef Harding retrouve l’Orchestre de Paris pour lui seul, celui qu’il a dirigé de 2016 à 2019. Mélangeant flegme et nervosité, avec des gestes en arc de cercle rappelant parfois Karajan, l’Anglais nous offre sa maturité pour une œuvre de la maturité de Bruckner dédiée à Louis II de Bavière, le grand mécène de Wagner que le compositeur admirait par‑dessus tout. L’orchestre sonne toujours équilibré et clair chez Harding, sans trop de cuivres, jamais écrasant, même dans les crescendos monumentaux ; ainsi les cordes respirent sur le thème aux violoncelles, envoûtent par paliers successifs, surtout au moment du célèbre Adagio inspiré par la mort de Wagner, où elles font leur ascension céleste sur le vrombissement des tubas wagnériens. Les trompettes sont un peu fortes dans le Scherzo mais elles sont compensées par la nervosité des cordes sur ce rythme entêtant qui rappelle le Confutatis de Mozart. La réussite complète est le Finale, où Harding nous offre un Bruckner passionné et élégant, débarrassé de ses balourdises dont aiment à parler les biographes ; il rend leur essence baroque aux multiples marches harmoniques, sans trop accentuer retards et notes étrangères. Même dans la passion la plus effrénée, Harding n’est jamais lourd, il sculpte les rayons et les ombres de cette musique faite de mélancolie religieuse et de candeur amoureuse, comme son créateur. Autant Grimaud va parfois jusqu’à mordre, autant Harding sait s’attendrir. Sharp and smart, jamais hard, Harding.



Armand Alter

 

 

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