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Les audaces de Gluck

Rouen
Chapelle Corneille
01/13/2022 -  et 14*, 16 (Barentin) janvier, 5 février (Brionne) 2022
Carl Heinrich Graun : Pygmalion
Christoph Willibald Gluck : Don Juan, ou le Festin de pierre, Wq.52

Frédéric Hernandez (clavecin), Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Alessandro De Marchi (clavecin, direction)


A. De Marchi (© Sandra Hastenteufel)


Quel plaisir de retrouver Alessandro De Marchi  (né en 1962), si rare en France ! L’ancien élève de René Jacobs, à qui il a succédé à la tête du prestigieux Festival de musique ancienne d’Innsbruck, depuis 2010, n’a pas son pareil pour explorer le répertoire dans toute sa diversité, de Porpora en 2015 à Jommelli en 2015, en passant par Cesti en 2016 et Kaiser en 2017.


A Rouen, le chef italien dirige du clavecin dans le cadre grandiose de l’église Saint-Louis, désormais plus sobrement appelée chapelle Corneille, qui a été transformée en salle de concerts permanente depuis sa rénovation en 2016. Dotée de 600 places, elle offre un écrin idéal pour les petites formes, ce dont se saisit De Marchi avec les forces de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, dont les cordes jouent pour l’occasion avec des boyaux et des archets d’époque, le plus souvent debout.


Le concert débute avec le ballet Pygmalion (1745) du Berlinois Carl Heinrich Graun, rival de Johann Adolph Hasse en son temps, en matière lyrique. Sa musique de ballet démontre toute son imagination dans la variété des couleurs (magnifique travail sur les percussions), au service d’un style miniaturiste qui fait s’enchaîner de petites pièces de caractère, très évocatrices, à la manière de son contemporain Gottfried Heinrich Stölzel (voir le disque que Győrgy Vashegyi a consacré en 2019 à ce compositeur). De Marchi fait vivre cette musique en insufflant une belle énergie à ses troupes, dont la répartition spatiale (notamment les deux bassons placés devant, de chaque côté de la scène) apporte un éclairage particulièrement bienvenu dans les passages solistes. On se délecte ainsi des sonorités suaves du premier basson tout de sensibilité de Batiste Arcaix, à plusieurs reprises. Très attentif aux nuances, De Marchi donne quant à lui beaucoup de vigueur avec ses attaques franches, tout du long.


Après le court entracte, place au ballet Don Juan (1761) de Gluck, composé un an tout juste avant la première version de son plus célèbre succès lyrique Orfeo ed Euridice. Adapté de la pièce éponyme de Molière, dont on fête cette année le quatre-centième anniversaire de la naissance, le ballet est le tout premier de l’histoire à proposer une action fondée sur un livret détaillé. Il s’agit ici de la version de 1790, avec pas moins de trente et une entrées, contre quinze à la création. Au niveau musical, la différence de style avec Graun est d’emblée frappante, tant on quitte les rivages d’une musique aux nombreuses influences populaires pour embrasser un style plus gracieux, parfois un rien décoratif et sans l’imagination mélodique d’un Haydn. Les premières notes majestueuses font entendre une écriture homophonique, avec la mélodie principale favorisée le plus souvent, ce qui donne un déroulé global assez prévisible.


La direction théâtrale de De Marchi fait ressortir toutes les influences espagnoles de l’entrée en fandango, avec l’ajout de castagnettes pour l’occasion. On note aussi l’engagement de l’excellent pupitre des violoncelles, là où les violons sont parfois plus flottants. Mais le clou incontestable du spectacle vient du Finale, dédié au déchaînement des Furies, qui emportent Don Juan dans les affres de l’enfer. On comprend l’effet de contraste que ce morceau, plus développé que les autres, a dû produire en 1761, tant sa modernité impressionne : la scansion entêtante de la mélodie au début (reprise par Boccherini dans sa Symphonie en ré mineur « La casa del Diavolo ») annonce un orage jubilatoire de doubles croches, dans le style des passions du Sturm und Drang, en vogue peu de temps après. Les effets de spatialisation des cuivres, très sollicités, donnent aussi un relief saisissant à ce tonnerre de crépitements, applaudi comme il se doit par un auditoire ravi.


On retrouvera le chevalier Gluck à Rouen dès fin février prochain pour apprécier son chef-d’œuvre français Iphigénie en Tauride (1779), avec Véronique Gens dans le rôle-titre (en remplacement de Karine Deshayes, souffrante). La très belle saison de l’Opéra de Rouen Normandie se poursuivra ensuite avec une attendue Jenůfa de Janácek, fin avril, dans la transposition contemporaine imaginée par Calixto Bieito (voir en 2015 à Stuttgart).



Florent Coudeyrat

 

 

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