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Muscles en avant

Paris
Philharmonie
01/07/2022 -  et 3 octobre 2020 (Linz), 24 novembre 2021 (Aix-en-Provence)
Anton Bruckner : Symphonie n° 2 en ut mineur, WAB 102
Johannes Brahms : Symphonie n° 1 en ut mineur, opus 68

Le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer (direction)


J. Rhorer (© Caroline Doutre)


Qu’il est loin le temps où Jérémie Rhorer et son ensemble Le Cercle de l’Harmonie (fondé en 2005) étaient associés à la seule défense de Mozart (voir notamment à Deauville ici), puis des contemporains de Beethoven (Cherubini en 2010 ou Spontini en 2013) ! Après une incursion chez Auber (Fra Diavolo en 2009), un disque consacré au « Paris des romantiques » a mis à l’honneur la musique de Liszt, Berlioz et Reber, dès 2012. Comment s’étonner, dès lors, que le chef français s’attaque aujourd’hui, comme Harnoncourt et Herreweghe avant lui, aux grandes symphonies de la fin du romantisme, le tout sur instruments d’époque ?


Alors qu’un disque Brahms vient de sortir (NoMadMusic), Jérémie Rhorer a eu la bonne idée de confronter en concert le maître de Hambourg à son irréductible opposé et contemporain, Bruckner. Contrairement à Wagner et Verdi qui s’observèrent à distance, les deux hommes fréquentèrent la même ville, Vienne, mais en des cercles distincts, l’un fidèle à Beethoven, l’autre plus enclin à embrasser la modernité wagnérienne. Bien qu’il ait qualifié Bruckner de « sot » (en privé), Brahms n’en étudia pas moins soigneusement ses partitions, sans jamais se départir de ses convictions conservatrices, à l’instar des autres pourfendeurs de Wagner et Bruckner, tel le redoutable critique musical Eduard Hanslick.


Le concert débute avec la Deuxième Symphonie (1872) de Bruckner, en réalité sa quatrième – les deux premiers essais n’ayant pas eu les honneurs d’une numérotation de la part du compositeur. Rarement donnée, cette symphonie est pourtant l’une des plus attachantes de son auteur, autant par son lyrisme envoutant que ses silences énigmatiques, qui lui ont valu son surnom. La surprise vient du choix de la version établie par le musicologue britannique William Carragan, grand spécialiste du compositeur, qui s’attache à rétablir les modifications apportées par Bruckner pour un concert donné à Vienne le 20 février 1876. C’est là l’ultime état de la première version de la symphonie, avant les profondes modifications opérées l’année suivante.


Avec la version de 1876, Bruckner modifie la conclusion du premier mouvement et revoit surtout le Finale, jugé plus faible que les autres mouvements. On gagne ainsi en fluidité ce que l’on perd en modernité, ce dont s’empare Jérémie Rhorer dès les premières notes, imposant des tempi très enlevés dans les passages rapides, plus colorés et apaisés dans les parties lyriques. Le chef français dépoussière ainsi toute une tradition de lectures germaniques à la respiration plus prudente, osant intégrer les chorals de cuivres dans un discours musical sans temps mort, et pratiquement sans transition. Dans cette optique, les fameux silences de la partition sont volontiers expédiés, sans pour autant donner l’impression de précipitation.


Composé d’un noyau dur d’environ quarante musiciens permanents, le Cercle de l’Harmonie a été enrichi de renforts pour l’occasion, restant toutefois arrimé à sa volonté d’allégement de la pâte sonore, grâce aux effectifs réduits aux cordes (trente-sept musiciens, dont quatre contrebasses seulement). Il faut un peu de temps pour s’habituer à ces sonorités inhabituelles dans ce répertoire, et ce malgré les essais précités de Harnoncourt et Herreweghe, tant les cuivres sonnent plus grasseyants, les bois un rien plus verts. Si les pupitres de cordes n’atteignent pas l’ivresse sonore des phalanges plus prestigieuses (à l’exception notable des superbes altos), on note aussi quelques flottements au niveau des cors. Pour autant, le cor solo de Natalino Ricciardo, malgré quelques difficultés dans les périlleux suraigus, séduit par le velouté d’émission et la noblesse de ses phrasés. Jérémie Rhorer choisit à juste titre de le faire applaudir en premier lieu à l’issue du concert.


Avec un timbalier particulièrement mis en avant, la lecture tout en relief et sans vibrato de Rhorer imprime une tension qui évite soigneusement les effusions émotionnelles, notamment dans l’émouvant Adagio. C’est davantage vers la fébrilité émotionnelle que nous embarque cette lecture toujours étonnante, en un dénuement analytique bien vu en fin de mouvement. On retrouve un ton plus péremptoire dans le Scherzo qui suit, avec notamment des déflagrations spectaculaires aux timbales, après les piani, en contraste. L’engagement de tout l’orchestre ne fléchit pas avec le Finale, qui s’enflamme en des tutti rapidissimes : tout le magma d’éléments disparates (en forme de citations des autres mouvements de la symphonie) s’assemble admirablement peu à peu, grâce à la capacité de Rhorer à relancer le discours musical sans trop se poser de questions. De cet élan roboratif émerge un sentiment d’excitation qui croît jusqu’à la péroraison conclusive, tel un orgasme sans cesse repoussé et enfin atteint.


Après l’entracte, on découvre un Brahms volontiers rudoyé par des timbales omniprésentes au début, avec des contrebasses grinçantes dans leurs attaques sèches. Cette lecture rapproche davantage le maître allemand de la Neuvième de Schubert, avec ses nombreuses ruptures intempestives. Les quelques décalages dans les attaques, aux trompettes notamment, restent inévitables compte tenu de l’engagement global demandé, même si l’on constate peu à peu que ce geste retentissant sonne aussi plus sec. Les amoureux d’un Brahms apollinien devront tourner leur chemin face à cette interprétation, certes plus nerveuse dans l’Adagio et plus théâtrale dans l’Allegretto (superbe travail au niveau du relief donné aux pizzicatos) qu’à l’accoutumée, mais souvent trop brusque. On aimerait plutôt que Rhorer se tourne vers les premières symphonies de Dvorák, dont les audaces formelles devraient convenir davantage à son style musclé.


Le site de Jérémie Rhorer
Le site du Cercle de l’Harmonie



Florent Coudeyrat

 

 

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