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Coup de blues

Strasbourg
Opéra national du Rhin
12/14/2021 -  
Vincenzo Bellini : Malinconia – Bella Nice, che d’amore – Vanne o rosa fortunata – Il pirata : « Ascolta. Nel furor delle tempeste »
Gaetano Donizetti : L’amor funesto – Me voglio fa’na casa – Rita : « Allegro io son »
Franz Liszt : Tre sonetti del Petrarca
Gabriele Sibella : La Girometta
Arturo Buzzi-Peccia : Lolita, Torna amore
Luigi Denza : Se – Occhi du fata
Ben Moore : The Clock, the Boat and the Shoes – This Heart That Flutters – The Lake Isle of Innisfree – I Would in That Sweet Bosom Be
Gospels, Spirituals : Every Time I Feel the Spirit – Here’s One – All Night, All Day – Come by Here (arrangements Damien Sneed)

Lawrence Brownlee (ténor), Giulio Zappa (piano)


L. Brownlee (© Shervin Lainez)


Lawrence Brownlee, ténor américain bien connu des aficionados du bel canto, mais dont le rayonnement reste un peu limité à ce public spécifique, mûrit doucement. A l’orée de la cinquantaine, le voilà loin de ses débuts rossiniens, dont un Barbier de Séville festivalier à Baden-Baden en 2008, dont on se souvient encore très bien – en fait surtout parce que son joli fil di voce y paraissait bien timide, pas du tout à la mesure de l’important volume de la salle – alors qu’aujourd’hui la situation a notablement changé.


Si, au début de ce récital, la voix de Lawrence Brownlee paraît toujours spécifique d’un certain répertoire, davantage portée sur l’agilité et la brillance de l’aigu que sur la beauté d’un timbre qui manque de corps, elle va s’arrondir en cours de soirée. Les Bellini et Donizetti de début de programme, pour l’essentiel des romances de salon, nous laissent encore relativement sur notre faim, même si le chanteur et son accompagnateur y rivalisent déjà d’élégance. Les extraits d’opéra ont plus d’allure : Rita de Donizetti et surtout Le Pirate de Bellini, dont le redoutable « Ascolta. Nel furor delle tempeste » continue cependant à manquer de charpente, de régularité de souffle et de variété d’éclairages, hors la luminosité attendue, mais trop isolée, des notes les plus élevées, jusqu’au contre-. Mais il est vrai que là, même si Giulio Zappa reste vigilant au piano, les timbres de l’orchestre manquent pour créer une ambiance plus stimulante.


L’intérêt monte d’un cran avec les ambitieux Trois sonnets de Pétrarque, d’abord en raison d’une substance pianistique plus conséquente, qui ne prend jamais l’accompagnateur au dépourvu, au contraire, mais aussi en raison de l’aisance d’une voix de ténor, dans ces mélodies qui au départ lui étaient spécifiquement destinées et qui souvent « coincent » dans l’aigu quand elles sont chantées par un baryton. Ici l’italianité recherchée par Liszt s’installe naturellement, remarquable équilibre entre le lyrisme pianistique et le slancio de la voix. Ces mélodies sont une véritable épreuve en matière d’expressivité et de legato, mais Lawrence Brownlee y triomphe d’autant mieux qu’il est véritablement soutenu : de belles lignes s’installent, à mesure que la voix gagne en assurance et aussi, après une bonne demi-heure de chant déjà, rayonne d’un matériau plus riche.


Seconde partie davantage ludique, avec d’abord quelques rengaines italiennes proches du populaire. Brownlee empiète cette fois sur les terres d’un Luciano Pavarotti, évidemment sans en égaler le charme inimitable, ni l’art consommé des nuances, mais en réussissant quand même à créer une véritable complicité. Tout à coup le fantôme du tenorissimo s’invite, pour notre plus grand bonheur, avec la présence presque palpable de son grand mouchoir blanc et de ses aigus solaires.


Suivent quelques American Songs, en principe une terre d’élection pour un ténor natif de l’Ohio. L’occasion de redécouvrir l’attrait de quatre mélodies de Ben Moore, aux confins de Broadway et de la chanson de cabaret, mais sur des textes poétiques ambitieux (Joyce et Yeats). Des pièces que Lawrence Brownlee a d’ailleurs enregistrées, sur un récital discographique publié par Opus Arte en 2013.


Et puis, comme déjà sur ce même disque « carte de visite », suivent quelques Spirituals, évidemment chantés avec un bon degré d’idiomatisme, même si l’on y reste plutôt dans l’univers de l’hybridation opératique que dans celui d’une véritable authenticité. Encore que... coup de théâtre, au début du tout simple et émouvant « All Night, All Day, Angels Watching Over Me, My Lord », la voix s’étrangle brutalement sur un sanglot qui n’a vraiment plus rien d’artificiel. Ebranlé à la fois par une très mauvaise nouvelle familiale qu’il vient tout juste d’apprendre pendant l’entracte, et puis par cette mélodie traditionnelle empreinte elle-même d’une très forte charge émotionnelle, l’interprète s’effondre. Il lui faut plusieurs minutes en coulisses pour reprendre contenance, et venir finalement à bout de ce spiritual, chanté en larmes, sympathiquement soutenu par un public lui-même bouleversé. Ce qui ne compromet nullement l’assurance de deux bis, l’air de Tonio de La Fille du régiment, avec ses neuf contre-ut tous impeccablement émis, et puis encore « Una furtiva lagrima » de L’Elixir d’amour, ultime remerciement à un auditoire venu en nombre et qui ressort comblé, par cette soirée généreuse et humainement touchante.



Laurent Barthel

 

 

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