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Malaise

Baden-Baden
Festspielhaus
10/30/2021 -  et 1er novembre 2021
Andreas Moustoukis: Music for Here
Gabriel Fauré : Requiem, opus 48

Fanie Antonelou (soprano), Mikhail Timoshenko (baryton)
Cantus Juvenum Karlsruhe, musicAeterna, Teodor Currentzis (direction musicale)
Matthew Collishaw (réalisation visuelle)


(© Andrea Kremper)


Ambiance délétère au Festspielhaus de Baden-Baden, au cours d’un week-end de Toussaint morose et grisâtre. Ce concert faisait initialement partie du Festival de Pentecôte 2021, qui malheureusement n’a pas eu lieu : ce contexte printanier, plus riant, aurait sans doute créé un contraste salvateur. Alors qu’ici, autant dehors que dedans, tout est lugubre.


L’affiche s’annonce cependant riche, avec non seulement le Requiem de Fauré dirigé par un chef dont on se demande, vu son tempérament habituel, comment il va se débrouiller pour bousculer les langueurs sulpiciennes de l’ouvrage, mais aussi une œuvre contemporaine complémentaire, pour que la soirée ne soit pas trop courte, et enfin, une mise en espace vidéo commandée à l’artiste britannique Mat Collishaw, spécialisé dans des installations d’un esthétisme cultivant volontiers ambiguïté et déstabilisation psychologique.


Cohue inattendue des l’entrée, autour d’un étrange rapace métallique animé, posé au milieu d’un hall beaucoup moins éclairé que d’habitude. L’automate n’est pas très grand, mais ses ombres mouvantes se projettent sur les murs en larges volutes. L’accès à la salle n’est autorisé que quinze minutes avant le début du concert (ou de la performance ?), et là encore dans une pénombre relative. Sonorisation (bruits diffus, sirènes...), orchestre et chœurs déjà en place, rigoureusement alignés et immobiles, répartis en largeur au niveau même du parterre, de façon à bien favoriser la visibilité d’un écran géant, tendu plus en hauteur sur le cadre de scène, et pour l’instant masqué par un rideau noir.


A l’heure dite, obscurité complète. La silhouette de Teodor Currentzis se glisse discrètement devant l’orchestre, les pupitres s’allument à peine, et commence une musique pour cordes signée Andreas Moustoukis, Music for Here, fondée sur deux ou trois intervalles inlassablement parcourus, dont une tierce mineure insistante. Sur l’écran de projection tournent et pullulent de grands cristalloïdes ambrés, générés par ordinateur, quelques bruitages connexes et un peu de nappes chorales s’étalent au cours de la partie centrale... l’ennui est rapidement total.


Pupitres et accords planants s’éteignent. Silence. Currentzis ressort, petit changement d’effectifs dans l’orchestre, toujours dans le noir. Currentzis revient, et attaque le Requiem de Fauré: une exécution en fait conventionnelle, de la version définitive de l’ouvrage, pour gros effectifs. Les tempi sont lents, le chœur chante nourri et gras, l’orchestre est d’une belle pâte, les deux solistes, pas vraiment passionnants, ont quelques problèmes avec un léger vibrato... Hormis des contrastes de dynamique très soulignés, rien ne porte vraiment la marque de fabrique Currentzis, mais de toute façon, dans cette pénombre qui permet à peine d’apercevoir le jeu instrumental, on n’est plus vraiment au concert.


L’écran, lui, monopolise rapidement l’attention. Les premières images, de rapaces planant dans le ciel, laissent craindre une plate illustration vidéo. Mais rapidement une narrativité s’installe, dans un décor d’images de synthèse : la caméra virtuelle tourne longuement autour d’un building réduit à sa carcasse de béton, dont les ouvertures vitrées permettent d’accéder visuellement à des pièces habitées. Sur chaque numéro du Requiem, Mat Collishaw nous y invite à assister à une autre agonie, selon un scénario invariable: plan large sur la chambre du malade, environnement d’un réalisme propret, poussé jusqu’au moindre objet d’un quotidien médicalisé, plongée vers le regard du mourant, excursion dans un paysage idyllique filmé par drone, puis retour vers un lit où entre temps l’inéluctable s’est produit, devant des proches résignés. Morbide, mais pas fondamentalement dérangeant. En revanche sur le Libera me, Collishaw va nettement plus loin dans le macabre. Long plan ascendant dans l’escalier de béton grillagé de l’immeuble, façon Piranèse, sur des familles qui amènent péniblement leur cadavre respectif sur le toit de l’immeuble. Pendant le bref Dies illa, dies irae, seul moment vraiment dramatique de la musique de Fauré, les rapaces du début fondent sur les corps et les déchiquettent: images de synthèse et rituel funèbre zoroastrien certes connu, mais dont la confrontation au message musical crée un profond malaise, que quelques plans larges sur un ciel étoilé pendant l’In paradisum ne dissipent pas.



(© Andrea Kremper)


Silence pesant après le dernier accord. Au bout d’une trentaine de longues secondes sans réaction perceptible du public, Currentzis s’en va, puis rapidement tous les musiciens s’éclipsent, alors qu’un peu de lumière revient. Dans la salle les spectateurs restent longuement assis, silencieux, aréactifs, pétrifiés derrière leurs masques, comme hébétés. Conclusion de concert assurément stupéfiante en son genre, chacun repartant ensuite de son côté dans la nuit humide, avec vraisemblablement un moral en berne.



Laurent Barthel

 

 

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