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Epatantes Carpathes

Metz
Opéra-Théâtre
10/28/2021 -  et 29, 30, 31 octobre 2021
Mel Brooks : Frankenstein Junior
Vincent Heden (Dr. Frederick Frankenstein), Jean-Fernand Setti (Le Monstre), Grégory Juppin (Igor), Lisa Lanteri (Inga), Léonie Renaud (Elizabeth Benning), Valérie Zaccomer (Frau Blücher), Laurent Montel (Inspecteur Hans Kemp, Dr. Victor von Frankenstein), Christian Tréguier (L’Ermite), Paul Bougnotteau (Ziggy), Ludovic Gerastre (Mr. Hilltop, Le comte Dracula), Ballet de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz
Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, Nathalie Marmeuse (cheffe de chœur), Halloween Orchestra, Aurélien Azan Zielinski (direction)
Paul-Emile Fourny (mise en scène), Graham Erhardt-Kotowich (chorégraphies), Emmanuelle Favre (décors), Dominique Louis (costumes), Patrice Willaume (lumières)


(© Luc Bertau/Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz)


On l’aura attendu, ce Frankenstein Junior! Deux fois reporté du fait de la pandémie, mais jamais abandonné, il arrive pour Halloween, l’Opéra-Théâtre organisant même une matinée costumée le 31 octobre. Et on aurait regretté de le manquer, tant il est rare, et c’est tout à l’honneur de Paul-Emile Fourny de programmer en terre messine une si grande variété d’œuvres (de Rossini, Bellini et Gounod à Rota et Castelnuovo-Tedesco, en passant par le ballet Roméo et Juliette de Prokofiev) jusqu’à cette admirable comédie musicale adaptée par Mel Brooks (né en 1926) lui-même en 2007 à partir du film du même nom qu’il avait tourné en 1974. Le cinéaste américain a trouvé en la personne de Thomas Meehan un excellent librettiste, qui a su développer certaines parties du scénario et donner du corps aux personnages secondaires (le film reposait essentiellement sur le Frankenstein de Gene Wilder, co-auteur du scénario). Stéphane Laporte en a réalisé une traduction excellente, qui a été créée à Paris en 2012.


Le découpage du film est quasi-intégralement conservé dans le livret. On suit donc les pérégrinations un rien loufoques de Frederick Frankenstein, descendant du Dr. Victor von Frankenstein, devenu médecin dans une université américaine, qui se rend en Transylvanie pour récupérer l’héritage de son aïeul détesté (il se fait appeler à l’américaine, «Frankenstine», pour échapper à l’atavisme), et qui va finir par parachever son œuvre. On retrouve tous les éléments connus des adaptations cinématographiques du personnage de Mary Shelley par Hollywood dans les années 1930: la fiancée du docteur qui va échouer entre les bras de la créature, l’ermite aveugle qui le recueille un instant, le cadre célébrissime du château des Carpathes, le valet difforme et la gouvernante revêche, sans parler de la séduisante assistante du docteur, Inga, qui va lui apprendre toutes sortes de choses sur l’anatomie (bien des allusions grivoises parsèment le livret, plus fines que dans le film).


Mel Brooks a donc lui-même composé la musique dans un style jazzy, mélangeant habilement foxtrot et swing (avec l’inclusion d’un morceau d’Irving Berlin, Puttin’ On the Ritz). Chaque personnage y bénéficie d’un grand air le mettant en valeur, comme l’épatante chanson quasi- réaliste «C’était mon boyfriend» pour la gouvernante Frau Blücher, ou le grandiose «Rentre dans le business» de l’ancêtre Frankenstein vu en rêve. Le tout est relevé de chœurs et de chorégraphies qu’un «pont d’argent» autour de la fosse rend plus proches du public. Paul-Emile Fourny a fait appel à un membre du corps de ballet messin d’origine anglo-saxonne, Graham Erhardt-Kotowich, pour les régler; entre les danses folkloriques roumaines en costume local et le numéro de claquettes sur le morceau d’Irving Berlin, il déploie une large palette stylistique, et c’est une chance considérable que de disposer d’un corps de ballet à demeure pour la servir.


Paul-Emile Fourny s’est adjoint les services d’Emmanuelle Favre pour des décors à la fois impressionnants visuellement et bien pensés pour laisser évoluer les nombreux danseurs (la bibliothèque du château, et surtout le laboratoire du docteur). Il utilise particulièrement les projections sur tulle et les effets de transparence des tulles, aidés par les lumières de Patrice Villaume, créent les atmosphères attendues sans jamais lasser l’œil. C’est surtout le sens du rythme qui marque sa mise en scène, rythme des mouvements individuels et collectifs, parfaitement accordé à une enivrante partition qui sait habilement utiliser la récurrence des thèmes musicaux.


Enfin il s’est entouré d’une équipe de chanteurs mêlant spécialistes de l’opéra et de la comédie musicale, reprenant deux éléments-clés de la production parisienne de 2012, le brillant et virevoltant Vincent Heden pour le rôle-titre, et Valérie Zaccomer, phénoménale Frau Blücher, acteurs-chanteurs complets et marquants. Grégory Juppin est un Igor toujours en mouvement, bien plus intéressant que celui du film, car il sait croquer un personnage avec une démarche suprêmement étudiée et une grande finesse de jeu. Lisa Lanteri, qui vient de passer du corps de ballet à une carrière de soliste dans le chant, n’éblouit pas moins en Inga accorte et délicieusement séductrice. Laurent Montel, après un formidable Gondremarck in loco en 2019, s’empare du double rôle du vieux docteur Frankenstein et du rigide Inspecteur Kemp, où son accent si travaillé fait mouche. Du côté des chanteurs lyriques, Léonie Renaud brille en fiancée fofolle et vocalisante dans les bras d’un Jean-Fernand Setti taillé pour le rôle avec son double mètre, mais sachant tout autant danser, chanter que travailler mille nuances de grommellements. Enfin c’est avec plaisir qu’on retrouve la voix inaltérée de Christian Tréguier en ermite aveugle, maladroit et accueillant.


L’Orchestre Halloween (un big band) dirigé par Aurélien Azan Zielinski enchaîne les rythmes percutants et dansants sans interruption, jusqu’après la fin du spectacle, où il se remet à jouer pour le seul public. Notre seul regret aura été que la sonorisation nous fasse perdre l’impact réel des voix dans la salle, mais une comédie musicale avec un véritable orchestre en fosse est déjà si rare qu’il ne faut pas bouder notre plaisir.



Philippe Manoli

 

 

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