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Plein le Nez München Nationaltheater 10/27/2021 - et 30 octobre, 2, 5 novembre 2021, 17, 20 juillet 2022 Dimitri Chostakovtich: Le Nez, opus 15 Boris Pinkhasovich (Platon Kouzmitch Kovaliov), Sergei Leiferkus (Ivan Yakovlevitch), Gennady Bezzubenkov (Le fonctionnaire de la rédaction, Un docteur), Andrey Popov (Le commandant de la police), Sergey Skorokhodov (Ivan, Ténor solo), Anton Rositskiy (Le Nez), Alexandra Durzeneva (Pelaguéia Grigorievna Podtotchina), Mirjam Mesak (Sa fille, Soprano solo), Doris Soffel (Une vieille dame), Laura Aikin (Praskovia Ossipovna), Tansel Akzeybek (Yarychkine)
Chor der Bayerischen Staatsoper, Stellario Fagone (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Vladimir Jurowski (direction musicale)
Kirill Serebrennikov (mise en scène, décors, costumes), Evgeny Kulagin (co-metteur en scène), Alexey Fokin (vidéo)
K. Serebrennikov (© Wilfried Hösl)
En 2016, le metteur en scène Barrie Kosky avait monté ce Nez à Covent Garden dans une traduction en anglais, en mettant en évidence l’absurdité réjouissante de l’opéra de Chostakovitch et proposant au milieu un Nez en train de faire un numéro de claquettes désopilant. En 2017, dans cette même salle, Harry Kupfer avait fait surgir des « Keystone Cops » fébriles et truculents dans la production de Lady Macbeth de Mtsenk. Hier à Munich, dans la production d’une rare force que nous présente Kirill Serebrennikov, la Russie est un état policier où les forces de l’ordre ont tout pouvoir, sont omniprésentes et où on ne rigole vraiment pas.
C’était un certain pari – calculé – de la nouvelle équipe Serge Dorny-Vladimir Jurowski que de proposer au public pour leur première production une œuvre aussi exigeante et dense que cette œuvre de Chostakovitch : plus d’une trentaine de solistes, la participation d’un metteur en scène toujours assigné à résidence à Moscou sur des prétextes bien futiles, et surtout une œuvre qui ne fait pas partie des canons classiques du Bayerisches Staatsoper : Wagner ou Strauss.
Dans la vision de Serebrennikov, Kovaliov est policier. Comme ses collègues, la difformité qui résulte de l’abondance des nez (prothétiques) est vécue comme une source de pouvoir. La disparition de son nez lui donne une normalité et une certaine faiblesse qu’il refuse. La superbe scène de la cathédrale où il confronte son nez le révèle comme un personnage veule. Il sait qu’il ne fait pas partie de la nomenklatura et que son Nez fait partie d’une caste supérieure. La détresse qu’il ressent lorsqu’il retrouve la possibilité de retrouver sa difformité initiale mais n’arrive pas à la reprendre de suite est palpable, la déchéance du personnage étant accentuée par le fait qu’il se met lui-même dans la prison où il mettait ses victimes auparavant. La dernière image, où, ayant repris forme et pouvoir, il agresse une jeune fille, est stupéfiante.
Les décors sont froids, gris et sombres. Les jeux de lumière sont très travaillés. La qualité de la direction d’acteurs, l’imagination visuelle du metteur en scène et la lisibilité de l’action qu’il propose rendent justice à une œuvre qui peut si facilement devenir gentiment incompréhensible. Ici, la cohérence de l’ensemble est stupéfiante.
Le niveau musical qu’obtient Vladimir Jurowski de son nouvel orchestre est très élevé. Les interludes orchestraux ont une réelle densité. La tension ne baisse à aucun moment. Dans le rôle de Kovaliov, Boris Pinkhasovich est un superbe acteur chanteur, expressif dans son jeu et son chant. C’est un plaisir que d’entendre les seniors que sont Sergei Leiferkus et Doris Soffel. Laura Aikin impressionne par son expressivité. Comme toujours à Munich, la troupe est d’un très grand niveau et la distribution homogène.
Voici au total une soirée forte et un spectacle total d’une rare intelligence, dont la tension ne faiblit pas un seul instant. La salle était pleine et a fait un triomphe aux musiciens. Durant les rappels, Vladimir Jurowski a salué Kirill Serebrennikov apparaissant dans une vidéo. La spectacle était présenté en streaming et devrait être disponible sur la chaine du Staatsoper mais si vous le pouvez, déplacez-vous à Munich. Serge Dorny et Vladimir Jurowski ont clairement gagné leur pari.
Antoine Lévy-Leboyer
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