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La bonne manière ?

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Opera Vlaanderen
10/03/2021 -  et 18, 21, 24, 25 septembre (Gent), 7, 10*, 13, 16 octobre (Antwerpen) 2021
Kurt Weill: Der Silbersee
Daniel Arnaldos (Severin), Marjan De Schutter, Hanne Roos (Fennimore), Benny Claessens (Olim), James Kryshak (Lotterieagent, Baron Laur), Elsie De Brauw (Frau von Luber), Dagmara Dobrowolska, Chia-Fen Wu (Verkäuferinnen), Simon Schmidt, Onno Pels, Thierry Vallier, Mark Gough (Burschen), Jonas Grundner-Culemann (Jäger, Doktor, Polizist)
Koor Opera Ballet Vlaanderen, Jan Schweiger (chef des chœurs), Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, Karel Deseure (direction)
Ersan Mondtag (mise en scène, scénographie), Roland Edrich (lumières), Josa Marx (costumes)


(© Annemie Augustijns)


En février 2020, peu avant la fermeture des salles, le public acclamait Le Forgeron de Gand de Schreker dans une fabuleuse mise en scène d’Ersan Mondtag. Les spectacles reprennent enfin à l’Opéra des Flandres qui débute sa saison avec une autre rareté, de Weill, cette fois, Le Lac d’argent (1933), créé quelques jours après l’arrivée au pouvoir des nazis. Aux commandes, nous retrouvons le même metteur en scène, pour une production presque aussi inventive, assez sulfureuse, à bien des égards impressionnante, mais, cette fois, un peu moins convaincante.


En 2033, une troupe, dans laquelle règne une certaine anarchie, monte à l’Opéra des Flandres cette pièce de Georg Kaiser dans un contexte socio-politique tendu, proche de celui de la création, un siècle auparavant. Elle décide dès lors, en signe de résistance, de lui donner une signification toute autre, par exemple en remplaçant les mutants imaginés à l’origine par des combattants du conflit israélo-palestinien, toujours en cours. Ersan Mondtag exploite donc le principe, peu original, du théâtre dans le théâtre, mais l’audace se situe ailleurs, dans le traitement ouvertement outrancier de la pièce, dans le foisonnement d’idées, sa marque de fabrique, et aussi dans les costumes hauts en couleur de Josa Marx, encore plus extravagants que le décor, constitué d’un plateau tournant. Ce dernier montre notamment le prestigieux intérieur du château acheté par Olim avec l’argent de la loterie, tandis qu’une maquette, dans laquelle il est possible de se glisser comme dans un costume, en montre l’extérieur. Apparaissent aussi, dans une sorte de temple égyptien, d’immenses statues représentant saint Sébastien, le Christ portant un masque à gaz ou encore un mystérieux personnage doté d’une tête d’ours en peluche. Et figurent également sur scène des robots qui ressemblent à des bonnes sœurs et des soldats cousins des stormtroopers de La Guerre des étoiles. Ersan Mondtag manie l’ironie avec brio et prend des libertés avec ce livret, mais les ananas figurent bel et bien dans sa délirante mise en scène. C’est à cause du vol de ce fruit que le policier Olim poursuit le pauvre prolétaire Severin avant de tenter de se lier d’amitié avec lui une fois devenu châtelain.


Dans cette pièce absurde et allégorique, qui ne relève ni de l’opéra ni du théâtre au sens strict, les paroles tendent à supplanter la musique, qui occupe une fonction presque accessoire, mais tout de même considérable. Le texte revêt dans ce genre d’ouvrage une grande importance, même dans les parties chantées, mais il se présente ici dans trois langues, allemand, anglais et néerlandais, ce qui ne facilite pas la compréhension, malgré les sous-titres. Pour la reprise à l’Opéra national de Lorraine, coproducteur, des aménagements seront nécessaires, quitte à perdre le sel du néerlandais, une langue riche d’expressions et d’injures truculentes. Ce spectacle qui dynamite joyeusement les conventions tire ainsi sa force d’une directeur d’acteur assez phénoménale et sur l’intense engagement des comédiens, véritablement stupéfiants dans le registre dramatique et burlesque.


Marjan De Schutter, qui partage le rôle de Fennimore avec Hanne Roos, cette dernière expliquant à la troupe qu’en tant que chanteuse, elle n’a pas une aussi bonne mémoire pour retenir un texte, se fend même d’une chanson dans le style du cabaret pour faire patienter le public durant un changement de décor. La longiligne Elsie De Brauw ne manque pas d’impressionner en Frau van Luber, bourgeoise sèche et fourbe. Benny Claessens, à la fois acteur et metteur en scène dans cette étonnante transposition, ne se ménage décidément pas, mais il adopte, comme l’interprète de Severin, d’ailleurs, des manières caricaturales d’homosexuel surexcité, ce qui provoque quelque lassitude à la longue.


Mais l’agitation presque permanente, les idées profuses, le jeu d’acteur très frontal tendent à placer au second plan la dimension politique de la pièce, qui devient, de ce fait, moins directe et aisée à cerner, malgré à la réussite de la fin, montrant Fennimore, isolée, valise en main, ce qui rappelle les réfugiés et les déportés victimes des nazis il y a un siècle. Ce n’est donc que tardivement que le spectacle se concentre enfin sur l’essentiel pour procurer un réel impact. Toute cette épaisse couche d’excès en tous genres étouffe donc un peu trop le message, sans toutefois l’ignorer, alors qu’il aurait fallu le rendre plus percutant. Quant à Ersan Mondtag, même si cette perspective en effrayerait plus d’un, il devrait aborder maintenant un classique du répertoire, de Mozart ou de Verdi, par exemple, pour vérifier s’il peut cultiver son immense talent dans un tout autre registre, avec goût et pertinence.


Musicalement, en revanche, cette production n’encourt aucun reproche. L’orchestre, franc et précis, voire pétaradant, donne entière satisfaction sous la direction de Karel Deseure, tandis que les parties chantées bénéficient de beaucoup de soin, grâce à des voix possédant la tessiture idéale dans ce répertoire, en particulier celles de Daniel Arnaldos, Hanne Roos et James Kryshak. Les choristes restent dissimulés dans les coulisses mais leurs interventions ne manquent pas de force de persuasion. Les plus réfractaires aux délires d’Ersan Mondtag peuvent au moins profiter de la stimulante partition de Weill.


Une production aussi tranchée et déjantée ne peut évidemment plaire qu’à une frange limitée du public, mais elle suscite au moins la réflexion sur la façon dont il convient d’aborder aujourd’hui les ouvrages scéniques de Weill pour les rendre actuels. Moins pourvue de vraies bonnes idée que dans Le Forgeron de Gand, pas à la hauteur de ce génial Mahagonny à jamais gravé dans notre mémoire, cette production laisse finalement plutôt sceptique. Adopte-t-elle la bonne manière ? La question reste ouverte, mais l’Opéra des Flandres proposera sans doute encore d’autres expériences extrêmes à l’avenir. Il ne faudrait tout de même pas que cela devienne son unique fonds de commerce.


Le site de l’Opera Ballet Vlaanderen



Sébastien Foucart

 

 

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