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Rossini et Herheim : le conte et le songe

Madrid
Teatro Real
09/20/2021 -  et 23, 24, 25, 26, 27, 28, 30 septembre, 1er, 2, 3, 4, 5*, 8, 9 octobre 2021
Gioachino Rossini: La Cenerentola
Aigul Ashmetshina/Karine Deshayes* (Angelina), Michele Angelini*/Dmitry Korchak (Don Ramiro), Nicola Alaimo*/Renato Girolami (Don Magnifico). Carol García (Tisbe), Natalia Baourdette/Rocío Pérez* (Clorinda), Borja Quiza*/Florian Sempey (Dandini), Riccardo Fassi*/Roberto Tagliavini (Alidoro)
Coro del Teatro Real, Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta del Teatro Real, Riccardo Frizza (direction musicale)
Stefan Herheim (mise en scène, décors), Daniel Unger (décors), Esther Bialas (costumes), Andreas Hofer (lumières), Torge Moller (vidéo)


K. Deshayes, C. García, R. Girolami, R. Pérez
(© Javier del Real/Teatro Real)



On ne présentera pas au lecteur La Cenerentola, pièce de répertoire s’il en est, frère cadet des opéras bouffes comme Le Barbier. Allons au second acte, après le récitatif entre Don Magnifico et ses deux filles, l’air «Sia qualunque delle figlie»: n’est-ce pas une version condensée du «Largo al factotum» et des malédictions d’Almaviva après la sérénade nocturne? En outre, c’est une des œuvres majeures de Rossini où les crescendi abondent le plus, ces crescendi rossiniens bien connus et bienaimés, depuis celui, très célèbre, de la Sinfonía (reprise d’un dernier crescendo du finale du premier acte) jusqu’aux ensembles. L’effet est heureux pour la pièce, et rend aussi le public heureux – exagère-t-on?


Un conte de fées bien connu, dont on a fait des variations de tout genre. Impossible de négliger Massenet ou Prokofiev. Hors la musique, impossible d’ignorer la bien sucrée version Disney; et on doit aussi se souvenir de la diabolique version de Lindsay Kemp, avec Alicia Moreno comme inoubliable et très antinomique «Cendrillon».


Un très beau début de saison au Teatro Real, avec une mise en scène assurant l’équilibre entre le bouffe et la délicatesse. Ce n’est pas un opéra bouffe, ce n’est pas Le Turc ou L’Italienne, c’est un peu plus près de La Pie voleuse, mais magique, fantastique... Pour Stefan Herheim, c’est surtout onirique, mais il respecte, avec son équipe de conception des décors, costumes, etc., le monde du conte, fantaisie et agilité: la transformation rapide des décors est essentielle pour la souplesse de l’action, du spectacle. C’est le rêve d’une humble femme de ménage. Il conte avec la présence de Rossini lui-même, sur son nuage, sa gloire, son sens comique, humoristique. Vraiment, la solution Rossini pour la fable a besoin de quelque chose comme cela. Herheim a trop de talent pour aller chercher une solution théâtrale dans la pathologie. Un conte est poésie; le rêve est poésie; la folie est souvent une source de poésie, mais si on explique un conte comme produit de la folie, alors, on tombe dans le grand piège que n’ont pas su éviter les metteurs en scène manquant de culture poétique ou psychanalytique (Harold Bloom disait de Tchekhov: il nous a appris à «éviter la vulgarité des conjectures à l’égard de sa pathologie».) Herheim nous conte le songe et sa version de la fantaisie qui a hanté tant de poètes, y compris Perrault et Francesco Fiorini, auteur d’Agatina ou La Vertu récompensée, d’où Ferretti, le librettiste de Rossini, a tiré sa comédie; voilà le rêve. Connaît-on vraiment des cas où la vertu a été récompensée? Oui, dans les rêves.


Dans la fosse, la baguette efficace, délicate et en même temps implacable de Riccardo Frizza, attentif à maintenir l’équilibre de cette comédie, qui possède un indéniable côté bouffe, dangereux si on se laisse trop séduire par la farce. Un grand chef pour une belle production, et pour deux distributions importantes.


Un pari comme celui-ci a besoin d’une ou deux distributions d’un niveau frôlant l’excellence. On est allé voir en hâte la seconde distribution, mais la mezzo Algul Ahmetshina a été obligée de laisser son rôle-titre à la Française Karine Deshayes, de la première distribution. Deshayes a montré qu’elle est une belcantiste accomplie, avec une rare correspondance entre le passage de l’aigu au grave, avec un médium si beau qu’on dirait que cela est tout à fait naturel; en outre, Deshayes est une formidable comédienne. Un idéal pour Angelina. Comme partenaire, la belle voix et belle présence de Michele Angelini, un prince au début discret, mais dont les capacités vocales ne font que croître tout au long du spectacle; un digne prince pour Deshayes.


Mais dans cet opéra de sept voix (sans oublier le chœur, assurément), il y a un personnage décisif pour donner le sens du récit: Don Magnifico. Un personnage qui joue le rôle de la marâtre du conte que nous avons connu dans notre enfance, et il est en même temps égoïste, tyran de Cendrillon, menteur, noble dérangé, ruiné, misérable... mais très sympathique pour l’action. Il faut une voix de basse et un acteur de comédie frôlant le bouffe. Nicola Alaimo a toutes ces qualités pour être un Don Magnifico dont la personnalité, la voix grave et pleine de force sonore, le sens de la comédie et la présence scénique s’imposent souvent dans les péripéties et les situations.


Les deux sœurs ont aussi, chez Rossini, quelque chose de «sympa», de pardonnable malgré leurs sévices contre la pauvre héroïne malheureuse. Dans cet opéra tous est «sympa», «bon enfant». Peut-on s’étonner que cela tourne dans «un rêve»? La jeune soprano madrilène Rocío Pérez, qui a chanté récemment le rôle de Gilda, est une Clorinda espiègle, agile, une belle voix aux promesses belcantistes. Avec elle, la très efficace mezzo barcelonaise Carol García complète le duo des sœurs, interchangeables mais obligatoires en tant que couple, en tant que serpent à deux têtes, un serpent gentil mais aussi méchant, tout à la fois.


Borja Quiza a lutté héroïquement pour ou contre son Dandini, mais à la fin il a réussi avec ce drôle de personnage, dont les caractéristiques tiennent du bouffe. Enfin, Riccardo Fassi a été un remarquable Alidoro, l’ange gardien, le conseiller parfait, moitié voix de la conscience (du principat, rien d’autre), moitié deus ex machina. Avec le difficile équilibre que Fassi atteint dans ce personnage proche de l’invraisemblance dramatique – rien à voir avec la vraisemblance du réalisme –, la comédie de ces sept personnages et un chœur toujours efficace, toujours agile et vif, clôt le sens théâtral de ce conte-rêve-comédie. Le chœur, dirigé par Andrés Máspero, a été, comme toujours, agile et d’une grande musicalité, mais cette fois-ci, la mise en scène a exigé des chanteurs des prestations comiques spéciales (chanter, un peu danser, un peu marcher sur une seule jambe...) Qu’importe. Ce chœur réussit toujours.


En conclusion, une très belle rentrée. Juste au moment où le Teatro Real a été déclaré meilleur théâtre d’opéra (International Opera Awards). Il semble qu’il ait tout à fait raison d’en être fier.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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