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Quand le visuel ne fait pas tout Rennes Opéra 09/27/2021 - et 29, 30 septembre, 2*, 3 octobre 2021 Georg Friedrich Händel : Rinaldo, HWV 7b Paul-Antoine Bénos-Djian (Rinaldo), Blandine de Sansal (Goffredo), Emmanuelle de Negri (Almirena), Aurore Bucher (Armida), Thomas Dolié (Argante), Gaëlle Fraysse, Nicolas Cornille (comédiens)
Le Banquet Céleste, Damien Guillon (direction musicale)
Claire Dancoisne (mise en scène), Elisabeth de Sauverzac (costumes), Hervé Gary (lumières)
(© Laurent Guizard)
A l’heure où de nombreuses maisons ont bien du mal à retrouver leur public, l’Opéra de Rennes marque un grand coup avec une salle comble et manifestement rajeunie pour son ouverture de saison. Il faut ainsi saluer le flair de son directeur Matthieu Rietzler (40 ans) pour avoir su reprendre un spectacle créé avec succès à Quimper, puis repris largement ensuite, notamment au festival de musique baroque de Sablé-sur-Sarthe en 2018.
Essentiellement porté sur la séduction visuelle, le travail de Claire Dancoisne joue de tous les artifices possibles, des costumes et masques flamboyants aux maquillages extravertis, sans oublier monstres métalliques (façon machines de Nantes) et soldats de plomb (activés comme autant de marionnettes) qui soulèvent l’admiration de l’assistance à chacune de leur apparition. Après l’entracte, une immense sculpture aux bras déstructurés, là encore métallique, rappelle L’Arbre aux serpents de Niki de Saint-Phalle (les couleurs en moins) et offre à Armida autant une garçonnière qu’une prison pour Rinaldo. Le spectacle est souvent plongé dans une pénombre mettant en valeur ces différents éléments, qui évoquent tantôt l’univers post-apocalyptique du film Mad Max ou l’imagination infernale de Jérôme Bosch. D’où vient pourtant que cette profusion laisse un goût d’inachevé ? On aurait en effet aimé que Claire Dancoisne s’attache à démêler les fils d’un livret obscur, adapté de La Jérusalem délivrée du Tasse et dont les péripéties étaient connues par les spectateurs du XVIIIe siècle.
Conscient de cette perte de savoir relatif aux textes antiques, Wajdi Mouawad n’a pas hésité à ajouter un court prologue pédagogique, dans son Œdipe d’Enesco présenté en ce moment à l’Opéra de Paris. On aurait pu aussi jouer davantage de l’opposition entre les deux camps, mal différenciés dans les costumes (ce qui fait dire à ma voisine de 10 ans environ, au bout de deux heures de spectacle, un pertinent: «C’est qui lui?»). Quoi qu’il en soit, le public, étonnamment sage pendant tout le spectacle (aucun air applaudi), offre un chaleureux tonnerre d’applaudissements à l’issue de la représentation.
Il est vrai que le plateau vocal réuni, proche de celui entendu à Sablé, touche au cœur par sa cohésion d’ensemble, dominé par le solide Thomas Dolié (Argante). Toujours aussi modeste, le baryton français semble surpris de l’accueil enthousiaste qui lui est réservé, amplement justifié par une aisance technique hors pair et un naturel bienvenu dans la composition dramatique. Paul-Antoine Bénos-Djian (Rinaldo) donne lui aussi beaucoup de satisfaction au niveau interprétatif, avec une diction éloquente, seulement mise à mal dans les passages rapides. Autour des superlatives Emmanuelle de Negri (Almirena) et Aurore Bucher (Armida), Blandine de Sansal (Goffredo) s’impose quant à elle avec une belle force d’engagement.
Autour de cette distribution qui fait la part belle à la jeunesse, Damien Guillon insuffle une énergie roborative à ses troupes du Banquet Céleste (formation qu’il a créée en 2009), à force d’attaques sèches dans les parties verticales. On aimerait toutefois davantage de respiration et de variété dans cette battue qui tourne souvent à vide – renforçant l’impression fastidieuse d’une succession d’airs et de récitatifs, propre à l’opera seria, avec trop peu d’ensembles.
Florent Coudeyrat
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