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Merci, Marc Minkowski !

Bordeaux
Auditorium
09/20/2021 -  et 23, 25* septembre 2021
Giacomo Meyerbeer : Robert le Diable
John Osborn (Robert), Erin Morley (Isabelle), Nicolas Courjal (Bertram), Amina Edris (Alice), Nicolas Darmanin (Raimbaut), Joel Allison (Alberti, Un prêtre), Paco Garcia (Un héraut d’armes, Le prévôt du palais), Olivier Bekretaoui, Luc Seignette, Jean-Philippe Fourcade, Simon Solas (Chevaliers), Jean-Philippe Fourcade, Simon Solas, Olivier Bekretaoui (Joueurs), Marjolaine Horreaux, Lena Orye (Choryphées)
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef de chœur), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Marc Minkowski (direction musicale)
Luc Birraux (mise en espace)


J. Osborn, E. Morley, N. Courjal (© Pierre Planchenault)


Après avoir redonné ses lettres de noblesse (dramatiques) aux opéras de Haendel et Gluck, puis à ceux d’Offenbach, Marc Minkowski s’est attelé depuis une vingtaine d’années à défendre les opéras tardifs de Meyerbeer. Personne n’a oublié Les Huguenots enfin rendus à leur équilibre par le choix du retour à l’intégralité de la partition, à Bruxelles en 2011 puis à Genève en 2020. Pour ce qui est de Robert le Diable, il faut remonter à 2000 et 2001 quand, à Berlin, il rétablissait une quasi-intégralité de la partition en version de concert. Il manquait l’occasion d’une production scénique pour cette œuvre-clé du répertoire du XIXe siècle, tombée dans l’oubli durant tout le XXe siècle avant sa résurrection sans lendemain à Paris en 1985. Pour ouvrir la dernière année de son mandat de directeur à l’Opéra national de Bordeaux, Marc Minkowski l’ambitionnait mais les restrictions sanitaires semblent avoir joué en la défaveur d’Olivier Py qui devait la réaliser, et il a fallu se rabattre sur une mise en espace de Luc Birraux à l’auditorium.


Celui-ci utilise la projection de didascalies et de textes commentant l’action ou l’œuvre avec une certaine dérision (mais non sans coquilles) et joue finement des lumières et de la spatialisation (chanteurs dans les gradins du public quand ils doivent être sur une montagne, chœurs placés derrière l’orchestre en rangs très abrupts qui évoquent le tournoi médiéval où se déroule l’action, cuivres délocalisés à l’étage) pour faire en sorte que le spectateur imagine la mise en scène qui ne peut qu’être suggérée. Avouons que, si tout n’est pas parfait, ce but est atteint, et l’œuvre prend ainsi bien plus de sens qu’en simple version de concert.


Il faut dire que Marc Minkowski et son Orchestre national Bordeaux Aquitaine (ONBA) sont de merveilleux narrateurs, et soutiennent les chanteurs avec des rythmes d’une cursivité remarquable toujours parfaitement en phase avec eux. Les couleurs de l’ONBA font le reste et il faudrait citer tous les instruments: les cordes d’un moelleux et d’une précision parfaits, toutes virtuoses, les cuivres brillants ou cinglants sans le moindre accroc (les cors!), le timbalier, auquel Meyerbeer réserve bien des interventions, le piccolo très sollicité, le violoncelle solo splendide à l’acte III... Minkowski obtient d’eux des tutti éclatants qu’il ferme d’un seul geste. C’est bien Meyerbeer qui est ici vivifié, remis en lumière, réévalué, car le livret de Scribe et Delavigne n’est pas sans faiblesses, de même que ses vers creux ou ampoulés. On en vient même à se demander comment le compositeur a pu créer une musique si inventive et suggestive sur un texte si plat. A la fin de la représentation, le chef reçoit une ovation quand il présente au public la partition qu’il défend avec ferveur.


Celle-ci se voit cependant amputée de deux scènes au premier acte – l’enregistrement par le Palazzetto Bru Zane devrait y remédier. Mais l’ampleur du grand opéra est impressionnante, l’originalité de l’orchestration meyerbeerienne tout autant, et l’arc de l’œuvre prend vie devant nous dans un tel concert de quatre heures trente. Un seul exemple: lorsqu’on en vient à trembler pour Alice dans la scène de l’acte II dans la montagne, où Bertram est à deux doigts de ne faire qu’une bouchée d’elle! On perçoit tout ce que Gounod doit à cette partition, ainsi que tant d’autres... jusqu’à Wagner qui l’admirait. Ses qualités théâtrales sont patentes, de sorte qu’à la fin on n’a qu’une envie: que l’œuvre accède enfin à nouveau à la vie scénique.


Pour soutenir cette quasi-résurrection sur notre sol, le chef et directeur se devait de réunir un chœur et un plateau de solistes de très haut niveau. Il n’y aucun problème pour ce qui est du chœur: celui de l’Opéra national de Bordeaux réussit un sans-faute, chez les hommes comme chez les femmes, même si, comme les chanteurs, il pâtit au premier acte de sa disposition derrière un orchestre que le plateau de l’auditorium favorise à l’excès. Il se rattrape ensuite, exceptionnel à la fin des actes II et V.


Nicolas Courjal, après sa belle prise de rôle il y a deux ans en concert à Bruxelles, a peaufiné son Bertram, tonnant et fulminant dans des fortissimi phénoménaux, peignant les doutes et fêlures de son démon avec des pianissimi diaphanes, n’éludant aucune difficulté (trilles), moqueur, persiflant et amer, offrant au public en ce soir de dernière un grave inattendu et impressionnant à la fin de «Nonnes qui reposez». Sous nos yeux, il donne un élan vital étonnant à cet ancêtre et source de tous nos Méphistophélès.


Pour Robert, il fallait trouver l’araba fenice, le «fort ténor» capable de vocaliser (et que seul sans doute Bryan Hymel a un temps ressuscité récemment). John Osborn n’a pas tout à fait cette carrure mais le ténor américain s’appuie sur sa maîtrise du style français (quel Raoul il a été sous la même baguette!), sa science de notre langue, et une technique superlative; il incarne ainsi ce héros velléitaire un peu falot qui louvoie entre ses sentiments pour la belle Isabelle, les tentations ourdies par Bertram et la voie de la droiture religieuse incarnée par Alice lui rappelant sans cesse l’image de la dévotion maternelle (qui pour nous marque l’âge du livret). Les trilles, vocalises (jusqu’à des graves très sûrs) dessinent les déliés du personnage, jusqu’à un falsetto habilement utilisé lors du trio de l’acte III («Fatal moment») et dans l’air du IV («Du magique rameau»). Osborn réussit à incarner le personnage grâce à une émission très contrôlée et une diction remarquable. Seul du plateau à trop utiliser sa tablette pour suivre la partition, il nous prive malheureusement d’une bonne partie de ses qualités d’acteur habituelles.


Le Maltais Nico Darmanin utilise habilement une voix de ténor assez légère, d’un impact moyen, mais dessine un Rimbaut d’un singulier relief grâce à des qualités dramatiques assez épatantes (surtout que Minkowski fait swinguer le duo bouffe du III avec Courjal de façon splendide). Le cas d’Erin Morley fera débat: va virtuosité phénoménale, sa diction parfaite, la longueur de son souffle et son extension dans l’aigu lui permettent d’esquisser les contours d’une princesse de Sicile pleine de brillant (comme disait Gounod de la Miolan-Carvalho) que le public ovationne. On n’oubliera pas cependant que cette héroïne est taillée pour des voix plus amples et plus solides dans le grave, qui donnent plus de relief à son air du IV («Robert, toi que j’aime») devenu ici quelque peu décoratif.


Enfin, Marc Minkowski a eu la main heureuse en misant sur Amina Edris, d’abord en Manon à Bordeaux il y a deux ans, et ici en Alice. Elle possède une voix de falcon d’une grande rareté, à l’ambitus très large. Mais ce qui sidère en elle, ce sont les qualités dramatiques intrinsèques du chant, liées à l’ampleur de la voix, au somptueux métal d’un timbre riche, à la fois lumineux et sombre, et aux mille colorations que lui permet une diction splendide. La moindre intervention lui permet de donner une intensité dramatique considérable à un personnage peu consistant car la soprano néo-zélandaise exprime bien plus les sentiments universels d’une âme arc-boutée sur son devoir et effrayée par les conséquences possibles de ses choix, que les intentions sulpiciennes d’un personnage suranné. Ajoutons à cela un français parfait, et «Va, dit-elle, mon enfant» devient un des sommets de la soirée. On n’a sans doute jamais entendu ce personnage incarné avec tant de force depuis le XIXe siècle.


Un dernier mot sur les comprimarii: le baryton Joel Allison se fait remarquer surtout en prêtre à la fin de l’ouvrage, tandis que le héraut d’armes du jeune ténor Paco Garcia fait valoir une lumière et une tenue pleines de promesses.


Espérons donc que nous aurons la chance de voir un jour sur scène cette œuvre qui le mérite. Si cela arrive, elle le devra en grande partie à Marc Minkowski.



Philippe Manoli

 

 

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