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Recherche chanteurs pucciniens, désespérément Toulouse Théâtre du Capitole 01/18/2002 - et 19, 20, 22, 23, 25, 26 et 27 janvier 2002 Giacomo Puccini : Tosca Fiorenza Cedolins (Tosca), Luis Lima (Mario), Juan Pons (Scarpia), Luigi Roni (Angelotti), Gianluca Ricci (le Sacristain), Jean-Pierre Lautré (Spolète), Jean-Louis Mélet (Sciarrone) Choeurs et Orchestre Nationaux du Capitole, Massimo de Bernart (direction). Nicolas Joël (mise en scène)
Ici, à Toulouse, l'on est friand d'écologie musicale, de protection de l'écosystème, de produits "bio" ; ce qui permet de réaliser de drastiques économies d'échelle (coûts de production faramineux !). La recette : on recycle les mêmes productions poussiéreuses, presque à la même période, on retrouve les mêmes décors, les mêmes étoiles dont l'éclat se ternit et quasiment les mêmes chanteurs. Depuis 1994, c'est la troisième fois - en huit ans à peine - que l'on nous inflige une mise en scène plan-plan, erratique, de l'un des monuments de Puccini.
Tosca est un sombre polar, un thriller psychologique, un huis clos oppressant entre trois personnages radicalement différents, unis malgré eux par le même destin, qui s'accomplira dans la mort. Pas de prélude, trois actes, de plus en plus concis, sans redondance, un paroxysme final qui est déjà en germe dans les accords premiers, fulgurants. D'une puissance hors du commun, ce drame insoutenable doit soulever une intensité dramatique comparable, par exemple, à celle dégagée par Angel Heart, ou Midnight Express : la référence à ces deux films d'Alan Parker n'est pas gratuite.
Comme l'auteur de Turandot, le cinéaste n'a pas son pareil pour nous immerger dans des univers claustraux - où le Mal et la Mort sont triomphants, et dans lesquels la Liberté est une inaccessible chimère. C'est dire que Tosca ne souffre ni médiocrité ni approximation, aux triples plans scénique, vocal et " symphonique " (l'orchestre est le quatrième protagoniste - le narrateur si l'on veut). Un seul manque sur l'un de ces points anéantit irrémédiablement le subtil équilibre voulu par le signataire du Triptyque.
Là où l'on attend trois êtres assoiffés soit d'amour, soit d'idéalisme révolutionnaire, soit de pouvoir absolu, l'on obtient seulement de pâles esquisses, sommairement caractérisées. Fiorenza Cedolins, malgré de beaux piani, dessine une Floria Tosca fruste, abusant de grands cris de donzelle effarouchée, au cours du magnifique et pathétique affrontement avec Scarpia au deuxième acte. Sa prestation est honorable, sans plus ; mais il n'y a pas ce feu dévastateur qui habite Maria Callas, Gwyneth Jones ou Denia Mazzola, authentiques tragédiennes et torches vivantes.
Juan Pons, déjà Scarpia en 1999, n'a rien à partager avec ce monstre retors, manipulateur, aux procédés totalitaires. Pas de déferlement haineux, de duel, de passe d'armes - alors que tout l'acte est une secousse tellurique ! Le plébéien baryton espagnol masque l'inévitable outrage des ans derrière un quasi parlando, et des accents véristes superfétatoires.
Sympathique et doté d'une présence indéniable, le ténor péruvien Luis Lima chante souvent forte, écrasant chaque note un peu à la manière de Giacomo Aragall. L'aigu est désormais poussif, manquant de solarité et d'arrogance, deux des éléments constitutifs de Mario Cavaradossi (ce que José Cura a parfaitement assimilé par exemple). La grande satisfaction est l'incomparable direction fluide, aérienne, en apesanteur, du maestro orfèvre Massimo de Bernart. Adoptant, même dans la véhémence, des tempi très lents, il enveloppe le drame qui se joue d'une infinie douceur chambriste.
Ainsi, dans le final volcanique de l'Acte I, il obtient de la phalange capitoline une transparence presque irréelle. Et revisite Tosca, notamment dans le splendide éveil matinal de Rome au troisième Acte, proche à la fois de Respighi et Debussy ; et bâtit encore un poème symphonique impressionnant, d'un raffinement rarement atteint - et l'on en a écouté, des Tosca ! En outre, il fait ressortir les multiples audaces d'une partition que Schönberg, entre autres, admirait ; et dont l'esprit des Gurrelieder se souviendra. Si le chant laisse perplexe, la représentation appelle néanmoins des trésors d'indulgence, grâce à la conviction du chef - prouvant que la sobriété et l'élégance sont le B.A.BA dans l'art d'appréhender une composition estampillée, à tort, de vériste.
Etienne Müller
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