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Gloire, gloire à Berlioz !

Grenoble
La Côte-Saint-André (Cour du château Louis XI)
08/22/2021 -  
Hector Berlioz : Les Troyens à Carthage
Isabelle Druet (Didon), Mirko Roschkowski (Enée), Delphine Haidan (Anna, Spectre de Cassandre), Vincent Le Texier (Narbal, Spectre de Priam), Julien Dran (lopas), François Lis (Panthée), Héloïse Mas (Ascagne), François Rougier (Hylas), Thomas Dolié (Sentinelle, Spectre de Chorèbe), Damien Pass (Sentinelle, Spectre d’Hector, Mercure), Eric Génovèse (Rhapsode)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Lionel Sow (chef de chœur), Chór Narodowego Forum Muzyki we Wroclawiu, Agnieszka Franków-Zelazny (chef de chœur), Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz - Isère, François-Xavier Roth (direction)


(© Bruno Moussier)


Bruno Messina ne ménage pas ses efforts pour faire du Festival Berlioz de la Côte Saint-André une étape incontournable des festivals d’été. Cette année marque le «Retour à la vie» de la manifestation iséroise (titre emprunté à Lélio) après une édition 2020 annulée en raison de la pandémie, et nombreux étaient les mélomanes et critiques à se presser pour voir dans la cour du château Louis XI la seconde partie des Troyens, la première ayant été donnée en 2019 avec la même équipe.


Berlioz n’y tenait pas, mais les circonstances ont imposé le découpage de son grand œuvre en deux parties à l’époque de la création parisienne (qui ne vit en fait que la seconde), et l’occasion était belle pour le festival de faire entendre pour la première fois depuis cette création les interventions du Rhapsode, qui rappelle au début de la seconde partie les faits marquant la fin de la première, en alternance avec le chœur. C’est Eric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française, qui déclame les vers, tandis que lui répond le monumental chœur formé par l’agrégation du Chœur de l’Orchestre de Paris et du Chœur du Forum national de la musique de Wroclaw, préparés par Lionel Sow et Agnieszka Franków-Zelazny. François-Xavier Roth, quant à lui, dirige un ensemble spécifiquement formé pour le festival: il s’agit du Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz - Isère qui mélange de jeunes artistes avec des éléments d’élite de l’orchestre Les Siècles. Cette véritable académie est un vivier impressionnant, qui nous fait bénéficier de la couleur exceptionnelle des instruments d’époque, autant que de la formidable expertise d’un chef capable de révéler les accords si audacieux de Berlioz, sans parler des effets de spatialisation des chœurs et de divers intervenants ou de parties d’orchestre, obtenue en utilisant les fenêtres et cours du château comme le dessus des gradins.


Dès l’entame donc, nous sommes chez Berlioz, et en grand: l’effectif orchestral est phénoménal, les cuivres rutilent jusqu’au fracas, les chœurs tonnent à faire trembler les murs du château Louis XI, mais on ne perd pas non plus un seul mot de ce chœur jusque dans ses piani, et la musique danse tout autant que son chef, qui obtient une remarquable précision de tous les pupitres, et réussit une véritable gageure en se révélant extrêmement narratif dans les passages orchestraux comme la «Marche troyenne» ou «Chasse royale et orage», tout en soutenant et entourant le chant de façon somptueuse. Berlioz n’a peut-être jamais été aussi bien servi qu’aujourd’hui avec ce chef comme avec Nelson et Gardiner, ce qui nous permet d’espérer qu’une œuvre si peu jouée que Les Troyens accède enfin au statut d’incontournable du répertoire.


Après une Cassandre qui avait exposé les limites de ses moyens naturels, Isabelle Druet fait ses débuts en Didon et trouve dans le rôle de la reine carthaginoise un terrain plus propice. «Chers Tyriens» est abordé sous l’angle de conversation, et la mezzo niortaise fait preuve tout au long de l’œuvre d’un grand impact théâtral, investissant le rôle par des expressions faciales mesurées et aptes à capter l’attention tout au long des passages orchestraux fort nombreux dans cette version concertante. Dès le duo avec Anna, elle use d’une émission haute qui lui permet d’obtenir une aisance de projection susceptible de résister aux assauts de la masse orchestrale, tout en lui donnant une grande marge de manœuvre sur le plan du lyrisme, porté par les mots, par une diction impeccable et un véritable art de la déclamation lyrique. Elle peut ainsi, en évitant de poitriner à l’excès, incarner une reine d’abord émue, saisie par la passion amoureuse puis dévastée par l’abandon et se raidissant d’orgueil dans la prophétie finale. La douleur intériorisée d’«Adieu, fière cité» approche alors l’émotion distillée par les plus grandes, et le sommet de sa prestation comme de la soirée est le duo d’amour «Nuit d’ivresse» où, rejointe par Mirko Roschkowski, elle peut offrir un legato émerveillé et filer des volutes d’extase enivrées. Les imprécations finales sont abordées avec une mesure et un sens de la progression qui évitent l’écueil de la recherche d’éclats que l’instrument ne peut offrir en termes de puissance ni d’extension dans le grave.


Le ténor allemand ne peut également faire qu’avec ce qu’il a: une voix assez lyrique, un timbre plutôt mat, qui ne s’illumine que dans un aigu assez prudemment sollicité. Si «Inutiles regrets » est abordé avec circonspection, du moins évite-t-il l’ennui, par le soin apporté à la diction comme à la dynamique. Le legato est chez lui souverain, et l’aigu n’arrive que comme point d’orgue à des phrasés calibrés, et on lui rend grâce de nous offrir un duo d’amour aux effusions modulées à l’infini, en parfaite adéquation avec sa partenaire, tous deux soutenus par un tapis orchestral aux couleurs précieuses.


Autour d’eux comme dans l’orchestre, différentes générations se rencontrent, avec une moindre réussite. Vincent Le Texier offre à Narbal une vraie présence et une très belle diction à défaut de puissance ou de couleur, son Ombre de Priam est plus en situation, et Delphine Haidan, en Anna, souffre de registres disjoints d’un grave étouffé. A l’opposé, Julien Dran brille dans un Chant à Cérès suave et lumineux, couronné par un ut iridescent, et prête aux ensembles sa présence et son rayonnement. François Rougier fascine dans une Chanson d’Hylas dans laquelle sa voix mixte et ses diminuendi font fondre le public. Héloïse Mas est un Ascagne à l’aigu éclatant et aux graves superbement timbrés. François Lis offre son timbre de basse somptueux aux trop courtes répliques de Panthée, Thomas Dolié et Damien Pass se font remarquer dans leurs courtes interventions.


Sur les gradins de la cour du château Louis XI, le public offre aux chanteurs et à l’orchestre une standing ovation bien méritée. C’est Berlioz qui est ainsi récompensé, après avoir été trop souvent et trop longtemps négligé ou méprisé dans l’Hexagone.



Philippe Manoli

 

 

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