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The « WOW effect »

Salzburg
Felsenreitschule
07/31/2021 -  et 8, 11, 18*, 23, 28 août 2021
Richard Strauss : Elektra, opus 58
Tanja Ariane Baumgartner (Klytämnestra), Ausrine Stundytė (Elektra), Vida Mikneviciūtė/Asmik Grigorian* (Chrysothemis), Michael Laurenz (Agisth), Christopher Maltman (Orest), Peter Kellner (Der Pfleger des Orest), Verity Wingate (Die Schleppträgerin), Evgenia Asanova (Die Vertraute), Matthäus Schmidlechner (Ein junger Diener), Jens Larsen (Ein alter Diener), Sinéad Campbell-Wallace (Die Aufseherin), Monika Bohinec (Erste Magd), Noa Beinart (Zweite Magd), Deniz Uzun (Dritte Magd), Regine Hangler (Vierte Magd), Christina Gansch*/Vera-Lotte Boecker (Fünfte Magd)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Huw Rhys James (chef de chœur), Wiener Philharmoniker, Franz Welser-Möst (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczęsniak (décor et costumes), Felice Ross (lumières), Kamil Polak (vidéo)


A. Stundytė, C. Maltman (© Salzburger Festspiele/Bernd Uhlig)


Au cours du mois d’août 2020, l’Elektra de Krzysztof Warlikowski et Franz Welser-Möst a été beaucoup regardée à domicile, et pour cause, puisqu’il s’agissait, avec le Così fan tutte minimaliste de Christoph Loy et Joanna Mallwitz, non seulement de l’une des deux seules productions d’opéra du Festival de Salzbourg, mais aussi de tout l’été en Europe, aucun autre festival lyrique n’ayant pu avoir lieu. Franchement mauvais souvenir que cette période ! Et pourtant Salzbourg avait le courage d’y proposer non seulement une programmation variée, mais même de monter un ouvrage aussi conséquent qu’Elektra dans des conditions quasiment normales, public certes clairsemé, mais orchestre entassé en fosse exactement comme d’habitude. Une réussite, mais tellement isolée dans le paysage ambiant, qu’elle augmentait encore un sentiment d’angoisse et d’inconnu quant à ce qui allait suivre, et qui n’a d’ailleurs pas manqué de se produire un peu partout dès l’automne venu.


Cette année, vécu cette fois sur place, demeure le sentiment de vivre dans une sorte de bulle irréelle. Salles remplies à craquer, public dûment contrôlé sur le plan sanitaire mais au coude-à-coude, scénographies à 100 % normales, qui ne renoncent à aucun effet d’entassement, et puis aussi, dehors, une sympathique communauté festivalière d’artistes qui s’embrassent, s’étreignent... C’est merveilleux, mais on danse sur un volcan. A Bregenz, les quatre représentations prévues de L’Italienne à Alger viennent d’être annulées en bloc, suite à un seul test positif dans l’équipe. Autre scénario catastrophe, pour l’ouverture du Festival de Grafenegg : un luxueux Requiem de Verdi privé du Chœur du Wiener Singverein, suite à un seul chanteur testé positif, et de ce fait exécuté (oui, oui !) sans les parties chorales. Souhaitons ardemment que Salzbourg puisse en revanche continuer jusqu’au 31 août sans incident de cette nature, ce d’autant plus qu’en ville la promiscuité paraît élevée, et sans guère de précaution particulière.


Mais retournons dans notre bulle, pour une représentation d’Elektra bien plus impressionnante que ce que nos écrans laissaient apercevoir l’été dernier. Peut-être Krzysztof Warlikowski et son équipe ont-ils modifié certains aspects de leur travail, à l’occasion de cette reprise, à moins simplement qu’il y a un an le tri effectué par les caméras n’ait pas été constamment pertinent. Vue depuis la salle, cette production, même si l’on peut y identifier nombre de tics warlikowskiens bien connus, apparaît comme un sans faute, approche à la fois respectueuse du texte et apportant sans cesse des éclairages nouveaux. En dépit de l’actualisation des costumes, voire de certains gestes triviaux bien de notre époque, l’impressionnante fatalité de la tragédie antique reste constamment prégnante. D’abord au repos, dans un décor de piscine et de bains, où pataugent même deux enfants, les engrenages se mettent en route progressivement, jusqu’à broyer à peu près tout le monde. Aucun temps de relâchement, et même, à la fin, dix minutes d’une intensité extrême, vidéo à l’appui, quand une giclée de sang arrose brutalement la muraille entière du Felsenreitschule, tache rouge dégoulinante sur laquelle fondent des essaims tournoyants de mouches géantes, pendant qu’à l’avant-plan chacun s’incruste de plus en plus dans son propre délire, jusqu’à la mort ou la folie.



(© Salzburger Festspiele/Bernd Uhlig)


Musicalement, même inexorabilité, tout paraissant constamment extraordinaire. La soprano lituanienne Ausrine Stundytė ne possède pas, dans l’absolu la voix dramatique du rôle, mais simplement une projection efficace, qui laisse apparaître aussi toutes les fêlures d’un personnage jamais interprété d’un bloc : en fonction de chaque partenaire, les inflexions changent, d’une fascinante variété. La Clytemnestre de Tanja Ariane Baumgartner n’est pas non plus qu’une vieille souveraine délabrée, mais une femme encore belle, certes surchargée de talismans mais en pleine possession de ses moyens. Ceux-là même qui lui ont permis de tuer Agamemnon sans états d’âme, comme le souligne le fragment de L’Orestie d’Eschyle que Warlikowski lui fait réciter tout au début, en allemand, avec un vrai talent de comédienne. Et puis il y a l’apport déterminant d’Asmik Grigorian en Chrysothémis, ce rôle d’une importance stratégique et qui trop souvent plombe Elektra, quand la titulaire paraît laborieuse, aux prises avec des mots dont l’articulation lui échappe et une tessiture difficile à soutenir du haut en bas. Ici, on s’en doute, la volcanique Asmik Grigorian n’a aucunement l’intention de jouer les jeunes dindes, et les scènes en question s’écoulent à toute vitesse, tellement les échanges sont passionnants, tendus, interactifs. On arrive à la scène d’Oreste en n’ayant absolument pas vu le temps passer, et là arrive Christopher Maltman : génial, voix de bronze mais personnalité fragile d’enfant grandi trop vite, déjà écrasé par son destin. Et n’oublions pas l’excellent Egisthe de Michael Laurenz, d’un chic très smart et condescendant, mais qui s’attend manifestement à ce qu’Electre n’en reste pas là, quand elle lui ouvre la braguette d’un geste décidé.



T. A. Baumgartner (© Salzburger Festspiele/Bernd Uhlig)


Quant à Franz Welser-Möst, à la tête de Wiener Philharmoniker en grande forme, son contrôle sur le déroulement des opérations apparaît total. On sent là une longue pratique de l’ouvrage, dont chaque difficulté est connue, bien anticipée, en accord avec des voix toujours parfaitement soutenues et aidées. Et quand les dernières vannes s’ouvrent, le chef, décidément pas un dionysiaque, garde la tête froide, mais le flux sonore devient tellement impérieux qu’il suffit en fait de l’accompagner, en quelque sorte de surfer dessus, et Welser-Möst le fait magnifiquement, jusqu’à la déflagration ultime, qui vous laisse pantelant sur votre siège, essoré !



Laurent Barthel

 

 

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