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« Mignonne, allons voir si la rose »

Salzburg
Haus für Mozart
08/04/2021 -  et 8, 12, 14, 17* août 2021
Georg Friedrich Haendel : Il trionfo del Tempo e del Disinganno, HWV 46a
Regula Mühlemann (Bellezza), Cecilia Bartoli (Piacere), Lawrence Zazzo (Disinganno), Charles Workman (Tempo)
Les Musiciens du Prince-Monaco, Gianluca Capuano (direction)
Robert Carsen (mise en scène, lumières), Gideon Davey (décors et costumes), Peter Van Praet (lumières), Rebecca Howell (chorégraphie), rocafilm (vidéo)


R. Mühlemann, C. Bartoli (© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus)


Le Plaisir a conclu avec la Beauté un pacte qui lui promet la jeunesse éternelle, mais en utilisant un spécieux « miroir de la tromperie ». Au décours d’une longue lutte contre le Temps et la Désillusion, deux autres personnages allégoriques qui reviennent constamment à la charge, la Beauté finit par comprendre l’inexorabilité de son destin, en se regardant enfin dans le « miroir de la vérité ». Tout en regrettant sa vie exubérante, elle se plie à la volonté divine.


Tel est le livret d’oratorio, moralisant mais plus sensuel qu’il n’y paraît, signé par le cardinal Benedetto Pamphili, et mis en musique par Haendel à Rome en 1707. Un ouvrage de jeunesse certes, mais qui appartient à cette fructueuse période italienne où Haendel jette tout son talent en vrac, en constituant là un véritable réservoir d’inspiration, qu’il ne manquera pas de piller au besoin par la suite, pour alimenter des ouvrages postérieurs. Et il y a effectivement peu de faiblesses dans ce Il trionfo del Tempo e del Disinganno, si ce n’est d’être un peu long par rapport à la minceur du livret. Mais rappelons qu’on a bien affaire à un oratorio, encore que dépourvu de chœur, et que même s’il s’agit aussi d’un opéra déguisé (le genre restait prohibé à Rome), les impératifs dramatiques ne sont pas les mêmes.


Présenté initialement lors du Festival de Pentecôte 2021, Il trionfo del Tempo e del Disinganno était un ouvrage idéal pour débuter après une longue période de fermeture des théâtres au public : pas de chœur, une certaine distanciation possible... Une impression de convalescence un peu précautionneuse limitait toutefois le rayonnement des représentations de juin, d’après les images qu’on a pu en voir. Alors que pour ces quatre soirées de reprise en août, l’équipe paraît beaucoup plus libérée : un spectacle qui fonctionne bien, avec ses quatre solistes d’une bonne présence physique, et son équipe parfaitement rodée de jeunes comédiens/danseurs.


Plutôt que dans le monde classique et pictural des « vanités », Robert Carsen situe en effet l’action dans l’univers de la mode et des top models d’aujourd’hui. Le personnage de la Beauté gagne donc sous nos yeux le concours très convoité de « The World’s next Top Model », dont la finale a lieu cette année à Salzbourg (!), et dont toutes les étapes sont détaillées au cours d’une excellente vidéo projetée pendant l’Ouverture. De ce groupe de beaux jeunes gens, très soucieux de leur image, mais en proie aussi au doute, à l’anxiété, émerge tout à coup l’heureuse élue, la jeune Regula Mühlemann, effectivement très jolie, et immédiatement prise en charge, contrat mirifique à l’appui, par Cecilia Bartoli, le personnage du Plaisir devenant une irrésistible executive woman, toujours en tailleurs-pantalons rouge écarlate du plus bel effet, invariablement accrochée à son téléphone portable et escortée d’un groupe de sigisbées disponibles 24 heures sur 24. L’heure est aux couvertures de Vogue, aux longues nuits de plaisir sous les éclairages scintillants, et aux paradis artificiels, au besoin, pour la Beauté, dans les bras d’un séduisant DJ. Mais c’est sans compter sur l’opiniâtreté du Temps, le longiligne et obstiné Charles Workman, en tenue d’ecclésiastique, ni sur celle, plus souple et insidieuse, de la Désillusion, Lawrence Zazzo, contre-ténor à la voix de velours. A force d’insister, voire de torturer mentalement la pauvre Beauté, celle-ci finit par se résigner, et tout abandonner. Plus rien à la fin, juste un espace entièrement vide, le personnage de la Beauté sortant lentement par le fond, à la fois de scène et même du théâtre, cette porte arrière de la Haus für Mozart s’ouvrant directement sur la rue.



R. Mühlemann, C. Workman, L. Zazzo
(© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus))



Propos brillant, où Robert Carsen jette tout son bagage de magicien de la scène, mais aussi ses tics un peu répétitifs, avec davantage de paillettes que de profondeur. Autant la première partie est irrésistible, s’amusant à empiler les clichés avec une véritable jubilation – ce qui n’exclut pas des moments de renversement abrupts, dont l’instant intense et surprenant de l’aria macabre du Temps, « Urne voi, che racchiudete », où tous les danseurs se dépouillent tout à coup de leurs tenues tendance et s’affalent inanimés sur le sol, complètement nus – autant la suite paraît plus laborieuse, avec de fréquentes et un peu statiques séances de contemplation d’un mur réfléchissant qui renvoie à la Beauté non seulement son image, mais aussi celle de la salle, entièrement remplie d'observateurs masqués (!). Là Carsen ne peut plus compter que sur une certaine routine, où il ne suffit pas d’un jeu de miroir et d’une scène vide, voire d’une petite fille et d’une vieille femme en figuration signifiante (les « vanités », toujours), pour réveiller l’attention. Peut-être un entracte entre les deux parties aurait-il pu être utile, au cours de ce spectacle qui dépasse les deux heures, pour aider à supporter les quelques longueurs de la seconde.


Et puis, aussi, des voix d’un niveau un peu plus homogène. Bien sûr Cecilia Bartoli est là, et elle crève l’écran. Mais ses vocalises, toujours fulgurantes, sont dessinées à la pointe sèche, le moelleux du timbre, voire une certaine puissance, appartenant désormais au passé. Cela dit, l’artiste est tellement brillante que l’illusion fonctionne, y compris même dans « Lascia la spina cogli la rosa », l’inusable « tube » de l’ouvrage, où Bartoli reste ensorcelante à force d’expédients, dont un impalpable fil di voce, étiré tout au long d’un da capo finement ornementé. On aimerait qu’une telle leçon profite davantage à Regula Mühlemann, adorable en scène et à l’aigu bien frais, voire délicieux, mais qui manque trop de charpente, le reste de la tessiture révélant la soprano suisse dépourvue d’appui, acculée à un parlando quant à lui pas joli du tout. Meilleure stabilité du côté de Charles Workman, dont ce répertoire n’est cependant pas la spécialité et dont la voix, un peu rocailleuse, s’accommode mieux d’orchestres plus fournis, mais l’artiste est respectable, confronté de surcroît à une tessiture très large. De même Lawrence Zazzo, dont la voix de contre-ténor a connu des hauts et des bas, paraît actuellement en forme, son suave « Crede l’uom ch’egli riposi », autre « tube », étant d’ailleurs le point culminant de la soirée.


Peu visibles, installés assez bas dans une fosse autour de laquelle les personnages peuvent évoluer sur les quatre côtés, Les Musiciens du Prince-Monaco, sous la direction de Gianluca Capuano, déroulent un Haendel de bonne compagnie, qui n’en fait pas trop, ni dans les fulgurances nerveuses, ni dans les miaulements expressifs. Le continuo est joli, les enrichissements du texte restent de bon aloi, le chef se complaisant manifestement dans les tempi étirés et les nuances piano infinitésimales à certains moments clés. Des instants très poétiques, mais qui ne fonctionnent que parce que le public observe un silence religieux. Aussi désespérante qu’ait pu être cette crise COVID à beaucoup d’égards, elle aura eu au moins un effet collatéral positif : le plus petit raclement de gorge fonctionne en ce moment comme un signal d’alarme, donc plus personne n’ose émettre le moindre son de cet ordre, ni au concert, ni à l’opéra. Et là, vraiment, pourvu que ça dure !



Laurent Barthel

 

 

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