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Vertiges schubertiens à Bayreuth

Bayreuth
Haus Wahnfried
08/06/2021 -  
Franz Schubert : Die schöne Müllerin, D. 795
Klaus Florian Vogt (ténor), Jobst Schneiderat (piano)


(© Laurent Barthel)


A Bayreuth en été, l’essentiel de la vie musicale se déroule au Festspielhaus, vers lequel convergent chaque début d’après-midi les wagnériens en tenue de soirée. Mais, en ville, l’offre n’est pas insignifiante. Il y a bien entendu les multiples conférences pour obsédés du leitmotiv, où on vous détaille tous les poteaux indicateurs d’un ouvrage wagnérien, exemples musicaux à l’appui : une industrie immuable, peut-être un peu moins prospère cet été, où le public habituel de Bayreuth ne s’est pas encore complètement reformé. Mais il y a aussi quelques vrais concerts, à repérer d’autant plus attentivement que ce sont souvent les artistes du Festival qui s’y produisent. Ainsi cette année la Villa Wahnfried affiche plusieurs soirées de musique de chambre et récitals de haute volée, donnés dans le salon/bibliothèque de ce qui est devenu aujourd’hui le Richard Wagner Museum : Klaus Florian Vogt, Michael Volle, Markus Eiche... L’endroit est évidemment agréable, pouvant accueillir une centaine de personnes, public drastiquement réduit cet été à vingt-cinq privilégiés seulement. On se sent d’autant plus reconnaissant à la direction du Musée Wagner d’avoir pu nous y accueillir au dernier moment, pour ce récital de Klaus Florian Vogt.


Ténor essentiellement wagnérien, insurpassable aujourd’hui en Lohengrin, essentiellement allemand aussi (Florestan, Tamino, Paul de Die tote Stadt), avec peu d’incursions dans d’autres répertoires, Klaus Florian Vogt reste un artiste unique dans le paysage lyrique du moment. Une voix d’une projection insolente mais naturellement élancée, sans aucun besoin de devoir grossir le son ou forcer l’émission pour se faire entendre, une présence physique svelte aussi, de héros blond d’enluminure, et puis un art prodigieux de faire résonner la langue allemande, respect scrupuleux de chaque intonation, sans jamais paraître exagérer cette diction, toujours limpide. La maturité venue, ces qualités sont restées intactes, avec de surcroît des couleurs supplémentaires, plus riches et variées, qui ont donné davantage de profondeur à cette voix qu’au début certains pouvaient trouver désincarnée. Personnellement, j’avais pu repérer Vogt encore à ses débuts, en 2005, à Bonn, dans un Florestan de Fidelio qui laissait entrevoir un potentiel vraiment exceptionnel. Et depuis, sa carrière, prudente mais bien construite, a suivi une trajectoire sans tapage ni surexposition médiatique, qui ne m’a jamais déçu.


Pour un chanteur wagnérien habitué aux grands espaces, se plier à l’exercice du lied est toujours périlleux, à force d’y replier sa voix, de la faire rentrer dans un format réduit dont elle a perdu l’habitude. Hans Hotter, Astrid Varnay, Waltraud Meier et beaucoup d’autres ont néanmoins tenu à s’astreindre à cette gymnastique tout au long de leur carrière. Pour Vogt en revanche, ces incursions restent rares, et assez curieusement elles paraissent strictement limitées à La Belle Meunière de Schubert, cycle qu’il chante depuis une dizaine d’années maintenant. Là encore, Vogt reste un artiste d’approfondissement, au point d’ailleurs d’avoir commandé au compositeur Andreas N. Tarkmann un arrangement pour ténor et petit ensemble, dans l’esprit de l’Octuor de Schubert. Mais ce soir, c’est le seul Jobst Schneiderat qui l’accompagne, sur le piano de Wahnfried, offert à Wagner en 1876 par les ateliers Steinway de New York. L’instrument sonne un peu caverneux au début, mais le pianiste est excellent, et progressivement un vrai paysage de timbres se forme autour de la voix.


Acoustiquement favorable, la salle n’est cependant pas grande, et les moyens de Vogt, même contenus, y ébranlent un peu les bibliothèques quand il faut appuyer davantage pour soutenir le haut de la tessiture. Mais globalement le format trouvé est bon : celui d’un moment d’intimité essentiellement privé, partagé avec quelques auditeurs silencieux, auxquels on raconte une histoire. Un véritable art de conteur, qui sait s’effacer pour laisser vivre le personnage qu’il incarne: le jeune meunier est vraiment là, dans la salle, avec ses élans, ses émois, ses moments d’exaltation, puis de dépression. Les lieder du cycle sont détaillés comme une succession de tableaux romantiques, aux limites du naïf, par les couleurs et la netteté des contours, mais aussi avec une simplicité qui touche constamment. Et quand progressivement tout bascule, on est vraiment saisi de vertige, comme dans ce dixième lied, où tout à coup « dans le ruisseau, le ciel entier semblait sombrer, et voulait avec moi aller dans ses profondeurs » : changement négocié avec une rare économie de moyens, la voix se teinte d’un peu d’ombre, l’expression du chanteur vacille un rien : on y est ! Progression magistralement gérée au cours des dernières pièces, de plus en plus tragiques, jusqu’à la douce berceuse finale. Applaudissements nourris, après de longues secondes de silence, retour un peu brutal au salon de Wagner et à ses tentures rouges, dont on s’était complètement évadé. Quelques saluts, puis le musée se referme.



Laurent Barthel

 

 

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