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Tosca, un épisode vers la fin de l’Ancien Régime

Madrid
Teatro Real
07/04/2021 -  et 5, 7 8, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 24 juillet 2021
Giacomo Puccini: Tosca
Sondra Radvanovsky*/Maria Agresta/Anna Netrebko (Floria Tosca), Joseph Calleja*/Michael Fabiano/Yusif Eyvazof/Jonas Kaufmann (Mario Cavaradossi), Carlos Alvarez*/Gevorg Hakobyan/Luca Salsi (Baron Scarpia), Gerardo Bullón (Cesare Angelotti), Valeriano Lanchas (Un sacristain), Mikeldi Atxalandabaso (Spoletta), David Lagares (Sciarrone), Inés Ballesteros (Un berger)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Nicola Luisotti (direction musicale)
Paco Azorín (mise en scène, décors), Isidre Prunés (costumes), Ulises Mérida (costumes de Floria Tosca), Pedro Yagüe (lumières), Alessandro Arcangeli (vidéo), Carlos Martos de la Vega (chorégraphie)


S. Radvanovsky, C. Alvarez (© Javier del Real/Teatro Real)


Tosca est un opéra dont le livret est tout à fait politique. Mais sa vision standard a dépolitisé toute l’histoire, et cela a créé toute une tradition. C’est contre cette tradition que lutte la mise en scène de Paco Azorín, une production déjà connue du Liceu de Barcelone et de la Maestranza de Séville, plusieurs fois, mais modifiée par Azorín, perfectionnée, révisée. En tant que créateur théâtral, Azorín a le droit, voire l’obligation de changer ses mises en scène, spécialement pour un titre de plein répertoire tel que Tosca. Il a commencé comme créateur de décors pleins de signification pour chaque pièce, et il est devenu metteur en scène de productions importantes comme Otello, La Voix humaine, Salomé ou Maria Moliner, un formidable opéra du compositeur espagnol Antoni Parera Fons, sans jamais négliger le théâtre tout court, même la zarzuela, une spécialité nationale pas toujours exportable.


On qualifie parfois une mise en scène de traditionnelle parce qu’elle montre une pièce costumée. Quelle erreur! J’imagine nos critiques qualifiant, par exemple, Chéreau de «traditionnel» pour son Così ou pour son Elektra. Le chemin de Paco Azorín vers la reconquête politique de cet opéra est peut-être gênant pour certains esprits («Qu’est que cela apporte?», se demandent-ils dans leur volonté opiniâtre de ne pas comprendre, en regrettant la Tosca presque intemporelle de la tradition imposée), mais il s’agit d’une de ces nouveautés qui n’ont pas besoin des grimaces ultramodernes (condamnées, elles aussi, par les critiques musicaux s’improvisant critiques de théâtre). Hélas, on a pris l’habitude de considérer comme «hardis» et «expérimentaux» la gratuité et le caprice (ignares, d’habitude) et on ne comprend pas l’attitude artistique de renouvellement qui ne fait pas porter des jeans à Cavaradossi. Mais il y a des opéras du répertoire qui ne supportent pas facilement l’actualisation. En même temps, un opéra comme celui-ci a besoin de renouvellement, on ne peut pas donner toujours la même Tosca, et la Tosca côté historique a battu son plein il y a longtemps (la mise en scène dans ses lieux historiques date de 1986, film de Gianfranco de Bosio, avec Domingo, Kabaivanska et Milnes, sous la direction de Bruno Bartoletti).


La Révolution revient avec cette Tosca dans un moment de régression en Europe et dans le monde. Elle est personnifiée dans une jeune fille nue, pas du tout une top model, mais une femme d’allure fragile, certainement belle mais délicate, un petit peu trop jeune; elle est la Révolution, elle est «La liberté guidant le peuple», le tableau inspirant Paco Azorín dans cette amélioration de sa mise en scène antérieure; mais ce personnage ajouté est décisif dans l’action (c’est elle, la Révolution, la Liberté, personnage muet dans cette production, qui offre à Tosca l’arme pour tuer Scarpia).


Le côté scène, donc, est parfaitement rempli par Azorín et son équipe, avec des décors beaux d’un point de vue artistique, et aussi fonctionnels, du point de vue du travail sur le plateau, se transformant pour devenir les trois ambiances de la pièce. Le côté musical n’a rien à en jalouser. En commençant par la direction de Nicola Luisotti, dont le regard et les bras inquiets sont prêts à tous les détails et capables de toutes les nuances. Son travail avec l’orchestre inspire un ensemble qui a besoin de baguettes comme celle-ci, une direction cherchant un sens pour la pièce. Un maestro qui serait ingénieur d’orchestre en même temps que créateur de dramaturgie.


On sait bien que Tosca est un opéra pour trois personnages. Un trio spécial, pas un triangle. On a reproché aux précédentes mises en scène de Tosca par Azorín l’aspect un peu maquereau de son Scarpia. Alors, préfère-t-on historique ou «moderne»? Moderne: la canaille qui a pris le pouvoir entre les deux guerres après la véritable chute de l’Ancien Régime. Historique: est-on certain que le gestus social d’un dénommé baron, comme Scarpia, n’est pas plus proche de la canaille que des salons aristocratiques? Carlos Alvarez, qui nous amusait bien dans son rôle travesti de la Mamma de Donizetti il y a quelques semaines, redevient le visage du pouvoir que les exquis ont délégué aux canailles anoblies, de la papauté en blanc au bourreau tout noir. Splendide Alvarez par la voix, toujours riche en présence et en couleur; et en tant qu’acteur, une large capacité de nuances, un profond sens dramatique.


Sondra Radvanovsky a reçu le grand triomphe de la soirée. Une Floria bien nuancée, entre la femme ingénue et la dame pervertie par la jalousie. Une Floria dont le lyrisme arrive parfois au belcantisme pur, avec des nuances, des filati. Son aria «Vissi d’arte» a été bissée après des applaudissements persistants. Ce fut le moment culminant de la soirée. Y a-t-il une autre voix, dans les représentations suivantes, pour faire encore mieux que Radvanovsky en Floria Tosca?


Joseph Calleja a une très belle voix de ténor lyrique, et ses deux belles arias, au début et à la fin, n’ont pas été récompensées justement par le public, ni «Recondita armonia» ni l’Adieu à la vie («E lucevan le stelle»). Comme acteur, il n’a pas le mordant de Radvanovsky ni d’Alvarez, mais il a suffisamment de capacités vocales pour le rôle de Mario. Enfin, Calleja, avec Radvanovsky et Alvarez, a su proposer un héros méritant le couplage dans une Tosca frôlant l’idéal. Le reste de la distribution est d’un niveau adéquat pour faire face aux monstres sacrés qui défileront durant ce mois de juillet dans les trois rôles principaux. Peut-être faudrait-il faire mention de Mikeldi Atxalandabaso dans le rôle sinistre de Spoletta, portrait et contrepoint de son maître, de la voix douce d’Inés Ballesteros en Berger, off, ici inspiré par la Révolution nue, celle-ci aussi proche de l’âge idéal pour le rôle, et, certainement, de Gerardo Bullón, le révolutionnaire authentique, engagé dans la lutte contre le despotisme.


Vers la fin de ces représentations, pendant le très chaud mois de juillet de Madrid, arrivent les divos: Anna Netrebko les 21 et 24, avec Yusif Eyvazof – son mari – en Mario, Jonas Kaufmann les 19 et 22, à guichets fermés! Tant mieux. Et tant pis pour ceux qui auront raté Sondra Radvanovsky. Si vous pouvez voyager à Madrid, ne ratez pas cette Tosca!



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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