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Exceptionnelle création

Aix-en-Provence
Grand Théâtre de Provence
07/03/2021 -  et 6, 10, 12 juillet 2021
Kaija Saariaho : Innocence (création)
Magdalena Kozená (Waitress), Sandrine Piau (Mother-in-Law), Tuomas Pursio (Father-in-Law), Lilian Farahani (Bride), Markus Nykänen (Groom), Jukka Rasilainen (Priest), Lucy Shelton (Teacher), Vilma Jää (Markéta)
Eesti Filharmoonia Kammerkoor, Lodewijk van der Ree (chef de chœur), London Symphony Orchestra, Susanna Mälkki (direction musicale)
Simon Stone (mise en scène)


A quoi peut-on reconnaître la création d’une œuvre exceptionnelle, au-delà de l’émotion qu’elle procure ? Au fait qu’elle ouvre sur une innovation formelle, par exemple une nouvelle forme de narration, ici en déroulant deux histoires qui se passent à dix ans de distance (le traumatisme et sa réactivation). Le procédé est courant au cinéma (le flash-back), nettement moins à l’opéra, surtout quand il se déploie en allers-retours sur toute sa longueur. C’est osé, périlleux, mais ça fonctionne parfaitement. Innocence, donné ici en création mondiale, ouvre de nouveaux horizons. Autre innovation formelle, plus anecdotique mais très plaisante avec le livret multilingue (anglais, finnois, tchèque, roumain, suédois, allemand, espagnol, grec), justifié par l’existence d’un lycée international, qui met l’oreille en éveil sur un nouvel aspect sonore.


Mais la forme n’est pas tout, il faut un contenu, un livret captivant et capable d’incarner des personnages, et c’est ce que réussit la romancière et dramaturge finno-estonienne Sofi Oksanen. Le traumatisme (un lycéen tueur en série qui tue ses camarades) et sa réactivation dix ans plus tard lorsque le frère du tueur se marie, sans que lui et ses parents n’en révèlent l’existence à la mariée. Mais une servante embauchée par hasard au dernier moment se trouve être la mère de l’une des victimes, elle révèlera ce lourd secret de famille... Le texte offre une réflexion profonde sur la faute, la culpabilité, le très d’actualité laxisme judiciaire (le meurtrier, mineur au moment des faits, est libéré dix ans après, au moment du mariage) qui engendre l’impossibilité du deuil et la révolte. Le livret est remarquable en étant d’une densité croissante tout au long de l’opéra (1h45 sans entracte), jusqu’à nous prendre à la gorge. Il y a une inexorable pente tragique, une atmosphère shakespearienne.


On connaissait déjà le talent de Kaija Saariaho pour l’opéra (L’Amour de loin, Adriana Mater), il est pleinement confirmé ici. Sa musique déploie des harmonies subtiles et envoutantes sur lesquelles viennent se greffer des mélodies, des rythmes, des couleurs. Et quel talent dans son écriture des voix, ce qui n’est pas si courant parmi les compositeurs contemporains. Echappant à la querelle des anciens et des modernes, son écriture est à la fois élaborée, originale, et parfaitement accessible à tous les lyricomanes.

Epoustouflant la veille dans Tristan et Isolde, le London Symphony Orchestra se montre tout aussi performant ce soir sous la direction de l’excellente Susanna Mälkki, tandis que Simon Stone, si horrible, lui, la veille, réalise un très didactique travail de metteur en scène. La distribution vocale est superlative, mais on distinguera tout de même Magdalena Kozená (la servante qui va faire la révélation) et Vilma Jää qui joue le rôle de sa fille, Markéta.


Le triomphe que fait le public ne trompe pas non plus, courez voir cette production, ou regardez-là sur Arte Concert à partir du 10 juillet, elle s’imprimera dans votre mémoire et dans votre cœur.



Philippe Herlin

 

 

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