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En noir et blanc

Strasbourg
Opéra national du Rhin
06/18/2021 -  et 20, 22, 24*, 28 juin (Strasbourg), 4, 6 juillet (Mulhouse) 2021
Giacomo Puccini : Madame Butterfly
Brigitta Kele (Cio-Cio-San), Leonardo Capalbo (B. F. Pinkerton), Marie Karall (Suzuki), Tassis Christoyannis (Sharpless), Loïc Félix (Goro), Damien Gasti (Le Prince Yamadori, Le Commissaire impérial), Nika Guliashvili (L’Oncle Bonze), Eugénie Joneau (Kate Pinkerton)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Giuliano Carella (direction)
Mariano Pensotti (mise en scène), Mariana Tirantte (décors et costumes), Alejandro Le Roux (lumières), Juan Fernández Gebauer et Raina Todoroff (vidéo)


(© Klara Beck)


L’Argentin Mariano Pensotti passe au théâtre pour l’un des auteurs et metteurs en scène les plus originaux du moment, avec des projets qui poussent loin l’intensité du jeu des acteurs, en narrations souvent non linéaires et fragmentées, ou encore des performances dans des lieux publics inhabituels, mêlant étroitement fiction et réalité. L’un des axes de son travail, avec le Grupo Marea qu’il a fondé, est par exemple la dualité visible/caché, ce qu’on donne à voir au public étant souvent doublé de messages en sur-titrage exposant une autre version du vécu des protagonistes, plus intime voire secrète.


En 2019, invités par la regrettée Eva Kleinitz, Mariano Pensotti et son équipe de collaborateurs habituels faisaient leurs premiers pas à l’opéra, pour la création française de Beatrix Cenci de Ginastera à l’Opéra national du Rhin : un coup de maître, et pourtant à certains égards un spectacle étonnamment sage de la part d’un créateur réputé aussi original. Confronté à un livret d’une fluidité quasi cinématographique, Pensotti n’avait eu qu’à développer pour chaque scène des visions d’une pertinence qui ne paraissait jamais violenter ou déformer le sujet. Un spectacle parfait, en total équilibre avec une musique forte voire poignante.


Le livret de Madame Butterfly, malheureusement, n’a pas la même solidité, voire a pris un bon coup de vieux. L’abaissement de la femme, que l’on achète puis abandonne, y est moins perçu comme un sujet de scandale que d’apitoiement, dans le cadre d’une vision colonialiste du monde oriental qui n’a pas encore été remise en question. Un livret aussi caricatural n’est acceptable que resitué dans le bon contexte : ce Japon fin de siècle de l’ère Meiji, déjà en voie d’occidentalisation mais encore en deux dimensions naïves, hybridation culturelle bien reflétée par les dernières estampes de l’ukiyo-e, juste avant l’extinction du genre. Une époque dont le metteur en scène français Jean-Pierre Ponnelle avait su à merveille reconstituer les subtilités sur scène, ici même à l’Opéra du Rhin, il y a plus de trente ans, ainsi que dans un film resté célèbre. En revanche, toute approche plus générique, avec défilés de kimonos multicolores, ombrelles agitées en cadence et folklore de pacotille, peut vite devenir odieuse. C’est aussi l’une des vraies raisons de la nette raréfaction des nouvelles productions de Madame Butterfly sur les scènes aujourd’hui, du moins par rapport à d’autres titres de Puccini.


Mariano Pensotti a perçu ce malaise au point d’adopter la solution la plus radicale : une Madame Butterfly... sans Japon du tout ! Plus de cerisiers en fleurs, plus de cloisons en papier, plus de samouraïs ni de bonzes : rien qu’un récit réduit à son strict essentiel, dans un environnement anonyme. Tout en noir et blanc, quasiment aucun détail réaliste, d’élégants costumes anguleux et bizarres façon créatrice de mode pour happy few : le vide est fait. Reste à l’habiter, et là, c’est un autre problème. Au premier acte, quand on dispose pour tout dispositif scénique d’une façade noire montée sur roulettes, qui se déplace lentement d’un côté à l’autre sur un plateau vide, il faudrait quand même pouvoir trouver plus intéressant à proposer qu’une série de silhouettes raides plantées devant. A défaut d’un drame japonais, on pourrait au moins nous proposer de vibrer devant un drame humain, mais ici les personnages peinent tellement à exister qu’on ne les regarde plus qu’avec indifférence. Est-ce pour cette raison que Pensotti superpose encore à cette vision glaciale une toute autre fiction, celle d’une metteuse en scène japonaise occidentalisée, à la recherche de ses racines, dont nous raconte le destin tragique en longs surtitres, pendant les interludes orchestraux mais parfois aussi en plein milieu du drame? Ce genre de contrepoint antagoniste fonctionne peut-être dans les performances de Pensotti au théâtre, mais à l’opéra, il se révèle tuant pour l’action principale. Au bout du compte on s’ennuie terriblement.


La distribution essaie de se tirer de ce mauvais pas en ordre dispersé, chacun avec ses atouts personnels. Le Sharpless de Tassis Christoyannis en a beaucoup : une classe indiscutable, mais surtout une voix qui sait faire passer à chaque moment la bonne nuance psychologique, celle qui aidera le personnage à se construire sous nos yeux, même en l’absence d’indications de mise en scène efficaces. En Pinkerton, Leonardo Capalbo a aussi de vraies qualités : un timbre lumineux et un physique svelte, mais son aptitude à rendre plus intéressant son rôle de bellâtre falot, invariablement engoncé dans un long manteau noir, est inexistante. La pire victime du marasme ambiant est Marie Karall en Suzuki : privé de toute typologie japonaise, le personnage, simple comparse errante, engloutie sous une hideuse perruque blonde, n’a plus aucun intérêt. Quant à la Cio-Cio San de Brigitta Kele, son problème est plus complexe : une certaine capacité d’émotion, mais fluctuante, compromise par des aigus incertains et une projection vacillante, qui souffre de nombreux passages à vide.


Quarante musiciens en fosse seulement pour Madame Butterfly (une providentielle réduction signée Ettore Panizza, chef d’orchestre célèbre qui fut l’un des piliers du Met au siècle dernier) : même un fin connaisseur de l’ouvrage comme Giuliano Carella n’arrive pas à nous faire croire que c’est suffisant. Pour l’intendance courante peut-être, mais aucun des grands climax attendus n’a l’impact requis. Et si du côté des cordes, les membres de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg font bonne figure, en revanche les cuivres, trop peu nombreux et très exposés, sont d’une laideur durablement dissuasive.


Accueil public chaleureux, tous les présents paraissant évidemment contents de retrouver leur théâtre enfin rouvert, mais quand même une conclusion bien morose, à l’issue d’une saison dévastée.



Laurent Barthel

 

 

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