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La feinte légèreté du théâtre

Madrid
Teatro Real
06/02/2021 -  et 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11*, 12, 13 juin 2021
Gaetano Donizetti: Le convenienze ed incvonvenienze teatrali ou Viva la mamma!
Carlos Alvarez*/Luis Cansino (Mamma Agata), Nino Machaidze*/Sabina Puértolas (Daria), Borja Quiza*/Gabriel Bermúdez (Procolo), Pietro Di Bianco (Biscroma), Sylvia Schwartz*/Francesca Sassu (Luigia), Xavier Anduaga*/Alejandro del Cerro (Guglielmo), Carol García (Pippetto), Enric Martínez-Castignani (Cesare), Piotr Micinski (L’imprésario), Luis López Navarro (Le directeur du théâtre)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Evelino Pidò (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières)


(© Javier del Real/Teatro Real)


Une très belle soirée d’opéra. Cette fois-ci, un opéra de jeunesse de l’usine généreuse de Donizetti, côté bouffe, apprentissage rossinien évident, du théâtre dans le théâtre, une mise en abyme dont les eaux ne sont pas profondes, où l’on peut trouver des sports et divertissements.


Il s’agit de Viva la mamma!, dont le titre est Le convenienze ed inconvenienze teatrali. C’est la même production que celle de Laurent Pelly pour l’Opéra de Lyon en 2017, dirigée par Lorenzo Viotti, avec notamment Laurent Naouri et Patrizia Ciofi. Et dans cette distribution du Teatro Real, nous retrouvons plusieurs des interprètes de Lyon. Il n’est donc pas nécessaire de décrire longuement la nature de cet opéra «de groupe», une spécialité, un genre dans le genre, où les interprètes nous amusent, et c’est évident qu’ils s’amusent beaucoup, eux aussi. Tout comme, entre autres ouvrages, Gianni Schicchi ou, certainement, beaucoup d’opéras de Rossini.


A l’idée de la satire sur le milieu et la profession de l’opéra (les volontés et les intérêts croisés des musiciens, des créateurs – librettiste et, surtout, compositeur –, des dive et divi, où les egos, trop chétifs, ont une tendance au naufrage), Pelly ajoute une autre idée hantant les gens de théâtre depuis... au moins quarante ans. C’est un des ultimes avatars du «théâtre dans le théâtre»: le théâtre sera démoli, et c’est tout un signe de l’avenir de la culture dans nos pays; en réalité, le théâtre était déjà démoli au début de l’action, première partie, puisqu’on répète dans un garage où il y avait autrefois un théâtre; il y en a d’ailleurs des restes. Après tous ces mots, surtout le mot «garage», on peut comprendre que Pelly et Chantal Thomas n’ont pas choisi l’époque historique comme cadre de scène.


Par moments, c’est la fête des rivalités, des intérêts contraires exagérés par la qualité même des revendications: «je veux être au au-dessus de mon état actuel, j’ai le droit, je suis l’artiste», etc; et il ne manquait que Mamma Agata pour tout embrouiller, rôle travesti de baryton devenu une mégère pas apprivoisée et pas jeune du tout. Elle n’est que la mère de la seconda donna, et on a l’impression c’est surtout la Mamma dévouée qui maudit de titre de «seconda».


Il y a des crescendi rossiniens, il y a de phrases rossiniennes, il y a une joie et une fraîcheur vraiment agréables. Et il y a un jeune compositeur qui a appris la leçon, une leçon claire pour nous, mais en même temps, il y a un compositeur complet. L’originalité n’était pas, à cette époque, un signe de qualité. Il fallait rester dans son école, «et on verra ensuite ce que tu es capable de faire. Renouveler en entier! Laisse cela aux Allemands, voire les Français, ils n’ont pas encore d’école.»


Un seul acte, mais la seconde partie est réservée au moment antérieur, quand le théâtre existait encore. Une seconde partie réservée presque entièrement à la mimésis parodique, semble-t-il, de l’opera seria, déjà amorcée pendant les répétitions de la première partie. Et voilà les chanteurs qui donnent quelquefois le meilleur (le ténor fuyant, la prima donna) ou, au contraire, une satire d’eux-mêmes, comme la seconda donna au début, et surtout la Mamma tout au long de la répétition, moment d’exaspération, voire accablement du poète, du compositeur, de l’imprésario.


On a donc parlé d’un rôle travesti, celui de la Mamma. Un baryton comme Carlos Alvarez, ayant montré ses aptitudes en Figaro, dans les rôles principaux de Don Giovanni, Un bal masqué, Rigoletto etc., change complètement de registre et nous donne un rôle comique du meilleur aloi. Formidablement (au moins pour moi) inattendu. La Géorgienne Nino Machaidze est son égal au plus haut niveau d’une distribution justement un peu inégale. Machaidze a la voix d’une véritable prima donna, tant dans les moments «sérieux» de théâtre dans le théâtre que dans la confusion, un chaos où tous paraissent aller en totale liberté pendant que le maestro Evelino Pidò dirige leur «désordre». Une exceptionnelle soprano, comédienne raffinée et d’une beauté éblouissante.


Il faut évoquer aussi Sylvia Schwartz, une seconda donna, Luigia, qui réussit à un moment le très difficile exploit de chanter mal, obligatoire pour son personnage au début de son solo de l’opéra censé être en répétition pour le lendemain! Attention à cette jeune soprano, dont l’expérience mozartienne est très bien attestée. Mais aussi le ténor Xavier Anduaga dans le rôle, justement, du ténor de la troupe, mais il s’agit d’un ténor allemand qui ne parle pas bien l’italien et dont les expressions sont incorrectes, approximatives ou tout à fait macaroniques. Avec une voix lyrique, douce, Anduaga relève ce défi, spécialement dans son solo au début de la seconde partie, lorsqu’il chante sa partie d’un opéra qu’il ne veut pas chanter avec la troupe. Borja Quiza a une formidable vis comica, et dans la comédie, ses moyens techniques ne sont pas très bons. C’est un peu ce qu’on peut dire du reste de la distribution, dont les ensembles sont en revanche insurpassables.


C’est Evelino Pidò qui détient la clef de la direction d’un ensemble pouvant tout le temps sortir des rails. Mais on a vu une des dernières représentations et sa maîtrise de la fosse et des «bêtes fauves» est évidente; et tout est un défi dans la formidable mise en scène de Laurent Pelly et Chantal Thomas, y compris pour Pidò.


Légèreté? Bien sûr. Mais une légèreté de premier ordre artistique.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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