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Autour de Pascal Dusapin Paris Maison de la radio 02/02/2021 - Pascal Dusapin : Attaca – La vita sognata (création) – Immer – Anacoluthe – O Mensch!: 1. «O Mensch! Gib acht!», 2. «Ein Spiegel ist das Leben», 3. «Ehrgeiz» & 4. «Der Wanderer»
Dietrich Buxtehude : Toccata pour orgue en fa, BuxWV 156 – Passacaille pour orgue en ré mineur, BuxWV 161
Amy Crankshaw : Crepuscular (création)
Franz Schubert : Winterreise, D. 911: 7. «Auf dem Flusse», 15. «Die Krähe» & 20. «Der Wegweiser»
Sonia Wieder-Atherton : Avant le son - d’après un chant égyptien
Paul Méfano : Jades [*] Françoise Kubler (soprano), Paul Gay (baryton-basse), Armand Angster (clarinette), Javier Rossetto, Célestin Guérin (trompettes), Sonia Wieder-Atherton (violoncelle), Vanessa Wagner (piano), Bernard Foccroulle (orgue), Florence Darel (comédienne)
Accroche Note, Franck Ollu (direction), Ensemble 2e2m, Léo Margue (direction) [*]
La crise sanitaire aura certes eu raison du public, mais non du maintien de cette trente et unième édition du festival Présences (dédiée à son créateur, Claude Samuel, disparu en juin dernier), qui se déroule comme prévu du 2 au 7 février. Le compositeur à l’honneur, Pascal Dusapin (né en 1955), a su pourtant fédérer autour de son nom un «public» autre que celui généralement affecté à la musique dite contemporaine... jusqu’à se voir «panthéoniser de son vivant» ironise Clément Rochefort, présentateur facétieux de cette soirée diffusée en direct sur France Musique. S’il récuse le terme de «compositeur national», Pascal Dusapin s’est naturellement réjoui de la double commande du Chef de l’Etat qui visait à associer au transfert des cendres de Maurice Genevoix au Panthéon une œuvre musicale et une œuvre plastique – respectivement In Nomine Lucis pour chœur a cappella et une installation d’Anselm Kiefer.
Pour ce concert d’ouverture qu’on eût souhaité plus flamboyant – il faudra attendre celui de vendredi à la Philharmonie de Paris pour entendre la création très attendue du duo pour orgue et orchestre Waves –, le fil rouge retenu est celui de la fidélité envers celles et ceux qui ont accompagné la trajectoire singulière de Pascal Dusapin. De là un programme conçu dans l’esprit d’une émission de radio avec une dizaine de pièces pour divers effectifs (du soliste au petit ensemble) émaillées d’interventions du maître et de son épouse, la comédienne Florence Darel, récitant des textes de Virgile, Virginia Woolf et Alcuin, celui-ci en duo avec son fils Anton (11 ans): clin d’œil à l’oratorio La Melancholia, où se faisait déjà entendre la voix de Louis Dusapin (premier fils du compositeur) lisant la traduction française d’un texte grec?
Parmi les soutiens de la première heure, se distinguent Bernard Foccroulle et Paul Méfano (1937-2020). Le premier passa commande de Medeamaterial du temps qu’il était directeur du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Pour fêter sa prise de fonction le 12 janvier 1992, avait été créé Attaca pour deux trompettes et timbales, brève fanfare toute désignée pour marquer le coup d’envoi du festival. C’est en qualité d’organiste qu’il se produit ce soir dans deux pièces de Buxtehude dont la musique, apprend-on, fit forte impression sur le jeune Dusapin. A travers des registrations contrastées et une grisante volubilité digitale, Bernard Foccroulle en exalte le stylus phantasticus aux commandes du rutilant orgue de l’auditorium.
Le second joua en public les premières partitions du Nancéen à la tête de son ensemble 2e2m. Dirigé par le brillant Léo Margue, Jades (2002) agit comme un hommage à Mefano, décédé en septembre dernier, qui se montre influencé par les peintures du chinois Chu Teh-Chun. On perçoit les notes couler tels des pigments sous forme de glissandos ou d’échelles non tempérées. Une musique vibratile, aux timbres évoquant ceux des instruments traditionnels chinois.
A Vanessa Wagner, collaboratrice de longue date du compositeur (et dédicataire des Troisième et Septième Etudes pour piano), incombe l’une des deux créations du programme avec Crepuscular d’Amy Crankshaw (née en 1991). Dans cette pièce inspirée par «les ambiguïtés visuelles présentes durant les heures du crépuscule», la compositrice sud-africaine privilégie une approche intuitive du clavier: les sonorités sépulcrales du début cèdent progressivement la place à des grappes de clusters dont la pédale forte prolonge les résonances ténues.
Paul Gay se joint à elle pour trois lieder du Voyage d’hiver, chantés de manière très opératique et déclamatoire. Le baryton-basse séduit (si l’on peut dire) davantage dans les extrais du cycle O Mensch! par son incarnation d’une éloquence de prophète. L’accompagnement minimaliste du piano s’accorde au bouillonnement d’une noirceur de plomb des poèmes nietzschéens.
L’improvisation Avant le son - d’après un chant égyptien de Sonia Wieder-Atherton constitue un prélude idéal à Immer (1996), pièce pour violoncelle seul placée sous la bannière de la musique populaire. Non que Dusapin, à la manière de Bartók, se soit attaché à puiser aux sources d’un certain folklore; mais sa démarche réfléchit sur «le potentiel compositionnel de la musique non occidentale». Ce triptyque met en exergue les virtualités timbriques de l’instrument. La deuxième pièce rejoint la Sarabande de la Cinquième Suite pour violoncelle de Bach par sa nudité et sa plénitude que Sonia Wieder-Atherton s’est parfaitement appropriées.
Depuis leur rencontre au Festival de La Rochelle en 1984, les musiciens de l’ensemble Accroche Note – au premiers rang desquels Françoise Kubler et Armand Angster – entretiennent un compagnonnage fructueux avec Pascal Dusapin. On n’en portera pas moins un jugement réservé sur Anacoluthe (1987), d’après un texte de l’ami Olivier Cadiot, et La vita sognata (2019), d’après des poèmes d’Antonia Pozzi. Il faut dire que la soprano, dont le timbre s’est fortement induré, convainc moins par le chant que par le théâtre qu’elle parvient à insuffler. Est-elle complice de notre sourire? Anacoluthe a par endroits des allures de caricature de cette musique contemporaine hermétique dont le compositeur a su ailleurs si efficacement évité les écueils...
A défaut de pouvoir apprécier le texte (absent du programme) de La vita sognata, donnée en création mondiale, on se rabat sur la finesse de l’instrumentation: sonorités pointillistes de la harpe, cantabile des cordes, oppositions de registres des vents (piccolo et clarinette contrebasse) dessinent le plus délicat des accompagnements, magnifié par la direction de Franck Ollu, interprète d’élection des opéras de Pascal Dusapin.
La page de Présences 2021 sur le site de Radio France
Jérémie Bigorie
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