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La ferveur de Gardiner

Paris
Maison de la radio
10/16/2020 -  et 17* octobre 2020
Ludwig van Beethoven : Ah perfido!, opus 65
Felix Mendelssohn : Elias, opus 70: «Es ist Genug»
Johannes Brahms : Symphonie n° 3 en fa majeur, opus 90

Camilla Tilling (soprano), Tareq Nazmi (baryton)
Orchestre philharmonique de Radio France, Sir John Eliot Gardiner (direction)


C. Tilling (© Ulla-Carin Ekblom)


La crise du coronavirus emporte, ma foi, bien des conséquences inattendues... Ainsi, ce concert du Philharmonique de Radio France comportait initialement la Symphonie «Inachevée» de Schubert et le Requiem allemand de Brahms et devait se tenir sous la direction de David Zinman. Quelques cas positifs de covid-19 ayant été détectés au sein du Chœur de Radio France, la jauge des concerts ayant été ramenée à 75 minutes environ, David Zinman ne pouvant sortir de Suisse pour des raisons sanitaires et le couvre-feu instauré à Paris obligeant désormais les salles de concert à commencer leur programmation plus tôt, tout fut inévitablement bouleversé. Le programme changea du tout au tout, le présent concert commença à 18 heures 30 et David Zinman fut remplacé (à titre personnel pour notre plus grand bonheur...) par Sir John Eliot Gardiner, qui profitait de cette occasion pour faire là ses débuts avec le Philharmonique de Radio France.


Les solistes du Requiem allemand étant là, autant les faire participer. C’est ainsi que Camilla Tilling intervint la première dans le célèbre air de concert Ah perfido! (1796) de Beethoven: quelle réussite! Dotée d’un tempérament de véritable tragédienne, capable de déclamer la plus vive colère aussi bien que la parole la plus douce (le passage «Per pietà, non dirmi addio»), la soprano suédoise aura offert au public (dont la concentration et l’écoute étaient, pour une fois, exceptionnelles, les spectateurs parisiens étant souvent quelque peu «remuants») une interprétation idéale grâce, au surplus, à une technique infaillible, une projection généreuse et une musicalité de chaque instant. L’accompagnement instrumental a été au diapason de la chanteuse, le Philharmonique de Radio France (au sein duquel se distingue notamment la merveilleuse clarinette de Nicolas Baldeyrou) étant dirigé avec entrain par Sir John Eliot Gardiner, qui connaît son Beethoven comme sa poche, y compris dans cette page on ne peut plus mozartienne tant dans la forme que dans les sonorités. Si Ah perfido! dure un bon quart d’heure, l’intervention de Tareq Nazmi n’aura occupé la scène que pendant 5 minutes à peine: mais quel chanteur là encore! La jeune basse d’origine koweïtienne que l’on a pu entendre la saison passée dans le rôle du Pape Clément VII sous la direction déjà de Gardiner (dans Benvenuto Cellini de Berlioz à Versailles) aura marqué d’une pierre blanche cet air de désolation tiré de l’oratorio Elias de Mendelssohn. Répondant aux douces mélopées du pupitre de violoncelles emmené par l’excellente Nadine Pierre (pupitre que Gardiner fit d’ailleurs lever au moment des saluts), la voix du jeune chanteur, chaude et modelée avec finesse, nous aura littéralement transportés. L’ovation attendue (comme ce fut le cas pour Camilla Tilling auparavant) fut des plus méritées; aucun doute que l’on ne peut que rêver d’entendre le Requiem allemand avec ces deux là!


Finalement, si Brahms reste au programme, ce n’est pas avec cette œuvre crépusculaire mais avec sa Troisième Symphonie. Le Philhar’ occupe là la scène de l’auditorium au grand complet (quatre cors, trois trombones, timbales, cinq contrebasses...), les cordes jouant masquées comme on en a désormais quelque peu l’habitude, et nous aura offert une version haute en couleur de ce chef-d’œuvre symphonique. Après le flamboyant de Beethoven et le drame de Mendelssohn, voici le grisant avec Brahms! Si l’on peut lui reprocher quelques décalages chez les cordes et des éclats un peu trop forts de la part des deux trompettes, l’orchestre fut néanmoins superbe dans l’Allegro con brio inaugural, Sir John Eliot Gardiner conduisant l’ensemble sans jamais relâcher l’attention, avançant de façon déterminée mais sans aucun pathos: on est ainsi emporté dans un torrent mélodique des plus convaincants. C’est ensuite au tour de la petite harmonie (Magali Mosnier à la flûte, Olivier Doise au hautbois, Nicolas Baldeyrou à la clarinette notamment) de faire montre de toute sa subtilité dans le si délicat et si complexe Andante que Gardiner dirige telle une pause rêveuse mais, là non plus, sans alanguissement, ni baisse de tension. D’alanguissement, il n’en fut pas davantage question dans le célèbre Poco allegretto, enchaîné sans pause avec le mouvement précédent; le chef prend le parti d’un rubato assez prononcé, contrastant les différentes phases du mouvement de façon peut-être parfois un rien excessive mais le résultat n’en demeure pas moins somptueux, le cor d’Antoine Dreyfuss n’étant pas étranger à cette réussite collective. Bourrasque attendue, le dernier mouvement fut sans aucun doute le plus exceptionnel grâce à des cordes totalement emportées et des vents galvanisés par un Gardiner des grands jours.


L’orchestre, qu’on n’avait pas entendu depuis un moment mais dont les qualités musicales furent en cette fin d’après-midi véritablement excellentes, fut chaleureusement salué mais c’est le chef qui fut ovationné tant par le public que par les musiciens, qui refusèrent de se lever en dépit de ses admonestations: on ne demande qu’à les réentendre dans un futur concert commun. Mais, et la question était sans doute à l’esprit de beaucoup, quand? Car, la chaleur et la ferveur de ce concert n’étaient sans doute pas étrangères au climat incertain pesant sur la musique en ces temps de pandémie. Si Sir John Eliot Gardiner a lui-même dû annuler un concert prochainement prévu à l’Opéra royal de Versailles (les musiciens anglais ne pouvant librement se déplacer), il n’en a pas moins remercié le public de sa présence et levé les poings en fin de concert sur le thème «Tenez bon!». Alors, croisons tous les doigts...


Le site de John Eliot Gardiner, du Chœur Monteverdi et de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique



Sébastien Gauthier

 

 

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