About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le fil renoué

Strasbourg
Palais de la Musique
09/10/2020 -  et le 11 septembre
Richard Strauss : Der Bürger als Edelmann (Suite), opus 60
Felix Mendelssohn : Ein Sommernachtstraum: Ouverture, opus 21, et Musique de scène, opus 61

Lambert Wilson (récitant), Marta Bauzà, Julie Goussot (sopranos)
Chœur philharmonique de Strasbourg, Catherine Bolzinger (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


L. Wilson, M. Letonja (© Nicolas Roses)


Au sortir de vacances forcées, quasiment sans aucun concert ni contact depuis près de six mois, il était temps que l’Orchestre philharmonique de Strasbourg puisse enfin rejouer pour son public. Beaucoup d’incertitudes continuent cependant à peser, visibilité brumeuse même à court terme, les gestionnaires pouvant afficher au moins la modeste satisfaction d’avoir stabilisé le vaisseau pour les prochaines semaines, voire d’avoir pu imprimer au dernier moment un programme de saison complet. Ouvrage déjà défait et refait maintes fois, ce nouveau menu paraît pragmatiquement équilibré, alléchant même. Mais qu’en restera-t-il après-demain ? En attendant, les musiciens se retrouvent enfin, confrontés à de nombreux problèmes d’intendance nouveaux, liés aux distanciations de rigueur voire tout simplement à une période d’inactivité trop longue. Une crise totalement inédite, que ce premier concert de saison tente courageusement de braver, entre deux vagues...


Au moins la jauge du Palais de la musique strasbourgeois, jugée hier encore trop importante pour l’activité symphonique, est-elle devenue un atout. Même en laissant de nombreux fauteuils vides afin de créer des distances de sécurité (un peu théoriques parfois), il reste de la place pour tout le monde dans la salle. Et scène et gradins sont assez larges pour accueillir un effectif orchestral et choral qui ne paraît pas famélique, même s’il a forcément fallu le réduire. Un rétrécissement qui ne concerne pas la Suite du Bourgeois gentilhomme de Richard Strauss, puisque de toute façon il s’agit là d’un orchestre déjà petit, en fait celui de l’opéra Ariane à Naxos, ensemble d’une trentaine de musiciens. Mais même là il faut disséminer, écarter les musiciens les uns des autres, ce qui suffit à déséquilibrer beaucoup de choses. La magie de cet orchestre miniature, où Strauss alterne à volonté les alliages d’illusionniste, tantôt transparences perlées tantôt ampleur simulée d’une phalange symphonique de grand format, ne fonctionne plus bien. Très difficile de fusionner les timbres dans de telles conditions, et il est désolant d’entendre Charlotte Juillard à ce point esseulée dans son délicieux solo de la Danse des tailleurs, les violons dispersés autour d’elle semblant avancer en tirailleurs sur un champ de mines. Exécution au demeurant coordonnée du mieux possible par Marko Letonja, avec de beaux moments, en particulier les interventions solistes, mais le charme particulier de cette partition, si plaisante voire génialement ludique, ne s’installe jamais durablement.


Changement de plateau sans entracte, et on se lance dans l’exécution intégrale du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn. Donc bien toute la partition, rarement présentée sous cette forme au concert, avec tous ses célèbres passages habituels mais aussi ses nombreuses séquences de mélodrame, voix parlées sur musique. C’est le seul Lambert Wilson qui assume tous les personnages de la comédie, en différenciant à chaque fois son timbre : Puck, Obéron, Titania, Thésée, les rustres... autant de silhouettes qui passent à volonté dans le champ, campées avec maestria mais qu’une sonorisation pas très efficace nous prive parfois d’une intelligibilité suffisante. En tout cas les superpositions de la voix sur l’orchestre sont sûres, témoignant d’un vrai tempérament de musicien. Chœur philharmonique de Strasbourg bien préparé par Catherine Bolzinger, et qui finalement souffre moins que les instruments de son obligatoire dispersion dans l’espace. Ambiances très justes aussi du côté de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, qui parvient à nous faire entrer dans cet univers onirique, même si parfois la délicieuse toile d’araignée tissée par Mendelssohn paraît au bord de la rupture, faute de davantage de pupitres de cordes pour lui donner de l’assise : quatre violoncelles seulement, donc vraiment pas beaucoup, surtout quand du côté des vents l’effort de rééquilibrage n’est pas patent. En particulier le tuba, remplaçant moderne usuel pour l’ophicléide d’époque, paraît énorme. Mais qu’importe, cette musique d’adolescent est tellement géniale qu’elle réussit quand même à nous emporter.


A propos d’adolescence... Certes l’Ouverture de ce Songe d’une nuit d’été a été écrite par un génie de dix-sept ans, mais pas le reste de cette musique de scène, de seize années postérieure. Un décalage peu souligné dans un article de programme qui de surcroît accumule les bourdes. L’Ouverture a été créée en public dès 1827 (le compositeur Carl Loewe dirigeait), et la musique de scène complète à Berlin en 1843. Or ici on nous annonce 1829 (à Londres !) pour la création de l’ensemble, date qui devient même 1928 (sic) dans la traduction allemande de l’article. Plus grave, car d’une incongruité moins évidente à déceler, la phrase suivante « La célèbre Marche nuptiale introduit le Cinquième Acte. Cette parodie de célébration n’accompagne en réalité que les noces ridicules de Titania et Bottom (aux oreilles d’âne) ! Les futurs mariés devraient plus souvent s’en souvenir... » L’idée est amusante, au problème près qu’elle est totalement fausse : au cinquième acte du Songe, il s’agit bien des noces on ne peut plus people de Thésée avec Hippolyte, Reine des Amazones, et non d’une pochade.


Après que le Puck de Lambert Wilson nous eut souhaité « Bonne nuit », on sort effectivement fatigué de ces deux heures de musique sans entracte, inexorablement rythmées par notre respiration chaude sous un masque obturant qui embue impitoyablement nos lunettes. Mais clairement heureux aussi : le fil est renoué et tout le monde tire dessus dans la même direction. Les progrès suivront forcément. Reste que l’impatience de retrouver le monde d’avant, celui d’une musique et d’une société sans distances, s’en trouve douloureusement avivée aussi.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com