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Höchste Lust!

Zurich
Opernhaus
07/06/2020 -  
Claude Debussy : Ariettes oubliées (*)
Henri Duparc : L’Invitation au voyage – Phidylé – Extase – La Vie antérieure (#)
Benjamin Bernheim
Léo Delibes : Lakmé: «Où va la jeune Hindoue» («air des clochettes») (*)
Jules Massenet : Manon: «En fermant les yeux» (#)
Charles Gounod : Roméo et Juliette: «Ange adorable» (Madrigal) (* #)
Richard Strauss : Lieder, opus 39: 4. «Befreit» – Lieder, opus 27: 2. «Cäcilie» & 3. «Heimliche Aufforderung» – Lieder, opus 10: 2. «Morgen!» (#) – Mädchenblumen, opus 22 (*)
Gaetano Donizetti : Lucie de Lammermoor: «C’est moi, Lucie» (scène et duo) (* #)

Sabine Devieilhe (soprano) (*), Benjamin Bernheim (ténor) (#), Carrie-Ann Matheson (piano)


S. Devieilhe et B. Bernheim (© Philippe Manoli)


En guise de «finale» à une saison 2019-2020 décidément particulière, l’Opernhaus de Zurich a organisé début juillet une série de concerts dont on espère qu’ils seront moins un épilogue qu’un prélude à une réouverture complète des maisons d’opéra.


La soprano Sabine Devieilhe, qui avait retrouvé les planches fin juin pour un récital genevois, évoluait aux côtés de Benjamin Bernheim. Le ténor se produisait en public pour la première fois depuis les Manon parisiennes. Tous deux étaient accompagnés par Carrie-Ann Matheson au piano. Chacun reprenait une part de son programme de récital habituel (les Mädchenblumen de Strauss pour elle, un bouquet de Duparc et de Strauss pour lui), agrémentés d’un air d’opéra signature, et de deux duos d’opéra français, qui mettaient les langues à parité. Le programme de mélodies promettait rien moins que deux fois l’«extase» au public, dans une ambiance plus festive que le sens des vers ne l’exigeait.


Devant quatre cents spectateurs respectant la distanciation physique, Sabine Devieilhe entame la soirée avec les Ariettes oubliées de Debussy, sur des textes de Verlaine. D’une Mélisande l’autre, elle interprète avec délicatesse les mélodies créées par Mary Garden. Débutant dans une subtile nuance piano, malgré une certaine difficulté d’articulation ensuite dans les aigus, la soprano exhale les capiteux parfums debussystes, très prenants dans le spectral «L’Ombre des arbres». Benjamin Bernheim enchaîne avec les Duparc et multiplie les petites facéties pour reprendre le contact avec le public, allant jusqu’à modérer les ardeurs de ses applaudissements, et déploie les charmes d’une émission haute, d’un timbre à la lumière subtilement variée, et d’une diction parfaite, de fortisssimi au métal fascinant, pour nous placer d’emblée au sommet de l’art de la mélodie, dans la «chaude lumière» tout de même angoissante des vers baudelairiens, en contraste avec l’excitation des spectateurs.


Sabine Devieilhe, plus réservée que son collègue, aborde ensuite son cheval de bataille, l’air des clochettes de Lakmé, qui soulève le public, malgré des aigus rétifs. La chaleur des applaudissements la rassérène, lui permettant de se remettre en selle, après un magnifique air de Des Grieux de Bernheim, pour un duo de Roméo et Juliette somptueux, où le ténor franco-suisse éblouit littéralement par un phrasé d’une tenue phénoménale, aérienne, exaltée, communiquant au public le frémissement amoureux de Roméo, qu’il chantera bientôt au Met: ils font finalement rire le public en remplaçant le baiser final par un contact du coude, signe des temps.


Après la pause, Benjamin Bernheim fait passer le public de l’excitation à l’émotion, avec le tragique «Befreit», puis développe avec une totale maîtrise l’exaltation amoureuse progressive des autres mélodies de Strauss. Alors, Sabine Devieilhe, qui a retrouvé tous ses moyens, déploie les pétales délicats des Mädchenblumen de Strauss, aux rythmes très contrastés, dans une veine devenue plus intime, d’abord presque figurative et naïve, puis émouvante avec un «Epheu» quasi étreignant, et un «Wasserrose» totalement maîtrisé, au lyrisme frémissant; le duo de Lucie de Lammermoor, chanté en français, lui permet d’atteindre le public au cœur par un recours délicieux à la mezza voce, malgré la curiosité de la langue, avant de déployer dans le bis, Youkali de Kurt Weill, toute la palette de dynamique possible, un autre sommet de la soirée. Benjamin Bernheim offre, lui, une première mondiale en bis: une mélodie italienne de Verdi sur un texte de Heine, Quand’io mi trovo alla mia Bella acanto, une esquisse de 1866 retrouvée récemment par l’historien Anselm Gerhard, d’une grande fraîcheur, qui fait mouche. Enfin, le duo de Maria et Tony («Tonight») de West Side Story de Bernstein nous éloigne définitivement des affres des textes au romantisme sombre, vers la lumière d’un espoir que l’on veut voir rejaillir sur l’avenir des soirées lyriques.


Terminons par un hommage à la cheffe de chant, chef d’orchestre et accompagnatrice canadienne Carrie-Ann Matheson, sans laquelle la soirée n’aurait pas atteint de tels sommets: faisant assaut de délicatesses infinies dans les mélodies de Debussy, avec une longueur de phrase appuyée à la pédale, capable de faire oublier l’absence d’orchestre dans les parties à réduction, de faire résonner un vrai son de clochettes dans l’air de Lakmé, d’exhaler des effluves prenants chez Duparc, de dessiner des volutes graphiques chez Strauss, elle nous rappelle qu’il n’est pas de grand récital sans grand accompagnateur.



Philippe Manoli

 

 

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