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Berg et Beethoven en miroir

Baden-Baden
Festspielhaus
02/20/2020 -  et 13, 16 (London), 18, 19 (Hamburg), 21* (Baden-Baden), 22 (Bonn), 23 (Luxembourg) février 2020

20 février
Alban Berg : Concerto pour violon « A la mémoire d’un ange »
Ludwig van Beethoven : Christus am Olberge, opus 85

Lisa Batiashvili (violon), Elsa Dreisig (Seraph), Pavol Breslik (Christus), David Soar (Petrus)
London Symphony Chorus, Simon Halsey (chef de chœur), London Symphony Orchestra, Sir Simon Rattle (direction)


21 février
Alban Berg : Lulu-Suite
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 9, opus 125

Iwona Sobotka (soprano), Anna Stéphany (mezzo-soprano), Robert Murray (ténor), Florian Boesch (basse)
London Symphony Chorus, Simon Halsey (chef de chœur), London Symphony Orchestra, Sir Simon Rattle (direction)


L. Batiashvili , S. Rattle (© Festspielhaus Baden-Baden)


Couplage aventureux pour ces deux concerts du London Symphony Orchestra (and Chorus) en tournée à Baden-Baden : à chaque fois une pièce d’Alban Berg en première partie et un Beethoven de grandes dimensions après l’entracte. L’initiative d’une telle programmation émane certes du LSO et de son chef titulaire, mais de la part de Benedikt Stampa, nouvel intendant à Baden-Baden, risquer d'inviter ces deux concerts à la suite n’était pas non plus un pari gagné d’avance, les goûts du public badois demeurant conservateurs et la maison restant par ailleurs relativement tributaire, du fait de son financement privé, du taux de remplissage de sa salle. Avec un résultat conforme à ce qu’on attendait : un Festspielhaus assez peu garni pour le premier programme (Concerto pour violon de Berg et le rare Christ au Mont des Oliviers de Beethoven), et en revanche rempli jusqu’à la dernière place pour le second (Lulu- Suite de Berg et Neuvième Symphonie de Beethoven). Cela dit, un doublé aussi brillant constitue quand même, au moins en termes de retour d’image, une excellente affaire pour Baden-Baden. Avec aussi l’avantage, le second soir, de faire découvrir à un public venu en masse plutôt pour la Neuvième Symphonie de Beethoven, une œuvre aussi riche que la Lulu-Suite de Berg, et peut-être de la lui faire apprécier.


Mais commençons par le choc que constitue le Concerto pour violon «A la mémoire d’un ange» de Berg dans l’interprétation ensorcelante de Lisa Batiashvili et Simon Rattle. Et ce dès le début, déjà d'une couleur particulière, avec une forte présence sonore de la harpe par rapport aux clarinettes. Simon Rattle envisage cette musique comme une véritable pépinière d’effets inédits, parfums rares et capiteux, alliages instrumentaux subtils, relais perpétuellement surprenants que se passent les pupitres au sein d’une véritable mélodie de timbres. Et les musiciens du LSO se fondent dans ces textures au point parfois de se mettre en danger. En particulier les cuivres, moins sûrs que d’habitude, parce que jamais débridés, toujours contenus par une baguette qui ne tolère aucun écart. Un écrin idéal pour le violon altier de Lisa Batiashvili, aux sonorités moelleuses et aux traits impeccablement dardés par une technique d’archet robuste. En définitive une vision nouvelle de ce concerto, où l’irruption finale d’un choral de Bach ne produit pas l’effet habituel de rais de lumière au bout d’un itinéraire parfois un peu gris : ici tout s’écrit en couleurs d’un bout à l’autre.


Bis exceptionnellement avec orchestre, et dont les racines sont toutes trouvées : la Sinfonia initiale de la Cantate BWV 156 «Ich steh mit einem Fuss im Grabe», partie soliste écrite initialement pour hautbois mais qui s’adapte bien au violon (et d’ailleurs très bien aussi au clavecin, dans le plus célèbre Concerto BWV 1056). Là encore, de la part de Lisa Batiashvili, une exemplaire démonstration de beauté de ligne, à peine parasitée parfois par quelques ornementations pas absolument utiles.


Il fallait bien une année Beethoven pour attirer de nouveau l’attention sur Christus am Olberge, oratorio créé en 1803, dans le sillage des grandes partitions chorales tardives de Joseph Haydn. Non que ce Christ au Mont des Oliviers soit faible, et la partition est même très belle, mais il y a toujours, quand on dispose d’un chœur et d’un orchestre, d’autres œuvres prioritaires de Beethoven à monter avant. Là l’initiative du LSO est excellente et de surcroît la distribution de haut niveau. Surtout le Christ de Pavol Breslik paraît idéal, pas trop lourd (contrairement à un Plácido Domingo, qui a enregistré le rôle en l’écrasant sous un héroïsme hors de propos), mais quand même assez puissant pour tenir des lignes exigeantes, tensions dramatiques où l’on devine déjà les accents de Florestan dans Fidelio. En Séraphin, Elsa Dreisig surprend par l’ampleur d’une projection qui lui permet de remplir sans aucun problème le vaste volume du Festspielhaus, et aussi par sa bonne diction allemande. En revanche le timbre n’est pas agréable, relativement dur voire perçant sur certains aigus, émis cela dit tout à fait justes, même quand Beethoven oblige à les négocier d’une façon très inconfortable. Et l’interprète paraît plutôt placide, dans un rôle réduit il est vrai à une simple apparition éthérée. Bonne présence de David Soar, qui n’as toutefois pas grand chose à chanter dans le rôle du disciple Pierre, et belle versatilité du chœur, appelé à paraître tantôt recueilli tantôt hostile.


Festspielhaus archi comble le lendemain, au point que nombre des membres du LSO Chorus souhaitant écouter la Lulu-Suite d’Alban Berg ont été autorisés, faute de pouvoir se glisser dans la salle, à prendre place sur les gradins derrière l’orchestre dès cette première partie. Et l’occasion en vaut la peine, car à nouveau l’interprétation de Simon Rattle se distingue par sa fabuleuse richesse sonore. Mais il s’agit aussi d’une lecture très dramatique, où apparaissent en filigrane tous les contours de l’action de l’opéra. Une musique dodécaphonique, assurément, mais surtout d’un expressionnisme déchirant, avec pour pour point culminant le grand thème d’amour de Lulu, porté par le chef jusqu’à des paroxysmes de sensualité. Pour le Lied de Lulu, Iwona Sobotka s’avance sur scène à pas lents : port majestueux de chanteuse wagnérienne et moyens opulents qui ne sont pas, dans l’absolu, ceux que l’intégralité du rôle de Lulu requiert, mais qui pour cet extrait là conviennent très bien, y compris pour quelques suraigus glorieusement projetés. Après les Variations et l’Adagio, Iwona Sobotka revient, mais cette fois à l’arrière de l’orchestre, pour les ultimes appels de la Comtesse Geschwitz, chantés avec une intensité poignante. On peut concevoir que pour certains cette musique flamboyante continue à paraître ardue, mais ici on fait tout pour la rendre formidablement attirante et suggestive, et c’est très réussi.



(© Festspielhaus Baden-Baden)


Et puis arrive enfin cette Neuvième Symphonie de Beethoven pour laquelle Simon Rattle devait bien une revanche à Baden-Baden, quatre ans après une prestation à la tête des Berliner Philharmoniker plutôt hasardeuse, voire qui avait surtout laissé le souvenir, du moins pour ceux qui ont assisté à la seconde édition du concert, d’un gros cafouillage des solistes et d’une partie des cordes, décalage au cours de l’Hymne à la joie qualifié a posteriori, en privé, par Simon Rattle d’«accident ferroviaire évité de justesse». En revanche aucun accroc à déplorer ce soir, avec un orchestre d’une identité sonore peu comparable. Autant il y a quatre ans Rattle paraissait déterminé à bousculer ses Berliner Philharmoniker, à la recherche d’un Beethoven anguleux, acide, astringent, en un mot bizarre, autant il paraît cette fois beaucoup moins interventionniste, sur un LSO qui garde ses timbres fondus, lisses, aux limites du manque de personnalité. On serait bien embarrassé pour saluer au passage la performance de tel ou tel pupitre, à quel point tout paraît interchangeable et neutre, à l’exception toutefois du timbalier, qui peut parfois déchaîner une énergie énorme, notamment dans le premier mouvement. Globalement, si la musique de Beethoven paraît s’écouler avec davantage de fluidité, on continue à ne pas toujours bien saisir où Rattle cherche à nous emmener, comme s’il naviguait à vue d’un effet de timbres à l’autre. Mais les gestes sont souvent beaux et on ne s’ennuie pas, y compris dans un Scherzo très enlevé, presque mendelssohnien d’allure. Adagio ample, avec des traits de cordes intensément chantés, que Rattle cherche à doter d’une éloquence qui cependant peine à dépasser une segmentation un peu trop répétitive des phrases. Final grandiose, plus raffiné avec le LSO Chorus qu’il ne l’était en 2016 avec les robustes voix du Chœur philharmonique de Prague. Quatuor de solistes un peu moins équilibré, où le soprano opulent d’Iwona Sobotka fait paraître relativement éteinte à ses côtés Anna Stéphany, mezzo plutôt discrète. Florian Boesch est toujours aussi imposant, mais là aussi l’attelage avec le modeste Robert Murray, de surcroît couvert par l’orchestre au cours de son intervention soliste (à moins de disposer d’un Jon Vickers, il faudrait éviter de déchaîner un tel tintamarre à ce moment là), paraît peu heureux. Globalement une exécution intéressante, si ce n’est complètement aboutie, en tout cas saluée par la standing ovation toujours prévisible à Baden-Baden dès que la Neuvième de Beethoven est au programme.



Laurent Barthel

 

 

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