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Figures et incantations pour grand orchestre

Paris
Maison de la radio
02/12/2020 -  
George Benjamin: Sudden Time
Julian Anderson: Litanies (création)
Dai Fujikura: Twin Tweets
Pierre Boulez: Figures - Doubles - Prismes

Patrick Messina, Christelle Pochet (clarinettes), Alban Gerhardt (violoncelle)
Orchestre national de France, Pascal Rophé (direction)


P. Rophé (© Marc Roger/ONPL)


Il faut voir dans l’exigence de ce programme orchestral l’origine de la commande d’une pièce chambriste à Dai Fujikura (né 1977), laquelle permet aux musiciens de récupérer. Ecrit pour les soixante ans «de mon professeur George Benjamin», Twin Tweets fait valoir la calligraphie soignée de ses volutes mélodiques. Les deux clarinettes, qui évoluent dans le même registre, évoquent deux volatiles se livrant à quelque parade amoureuse; ce dont s’acquittent à merveille Patrick Messina et Christelle Pochet six minutes durant.


Daté de 1993, l’expérimental Sudden Time cristallise une mue stylistique chez George Benjamin. Le Britannique se montre ici le digne héritier du Webern des Pièces opus 6 en ce que l’effectif considérable requis est moins exploité pour ses tutti fracassants que pour «parvenir à une transparence analogue à la musique de chambre». Frappe au premier chef l’atomisation du discours, fruit d’une division incessante des différents pupitres (quatre flûtes, solos de cor anglais et d’alto). A cet aspect concerto pour orchestre se superpose une écriture très incantatoire, notamment pour les vents, riche en formules qui font se succéder grappes d’appogiatures et notes tenues – on pense à Varèse et à Jolivet. Pascal Rophé dirige avec le savoir-faire qu’on lui connaît un Orchestre national convulsé par «une pléthore de mini-tablas».


Le «style incantatoire» se situe également au cœur de Litanies de Julian Anderson (né en 1967). Ce concerto pour violoncelle reste fidèle à la forme en trois mouvements, tandis que sa trame mélodique se laisse périodiquement contaminer par des bouffées postromantiques – le mouvement lent central se veut «un thrène à la mémoire d’Oliver Knussen» qui venait de disparaître. Auprès du très organique Sudden Time, régi par une poignée de cellules matricielles, Litanies adopte un discours plus rhapsodique et effusif. De la corde d’ut raccordée en si bémol au cœur du deuxième mouvement, le compositeur exalte le versant lyrique et les émanations induites par les harmoniques (scrupuleusement notés). La prestation superlative d’Alban Gerhardt, pour qui l’œuvre a été composée, et l’accompagnement accort (nombreuses et franches doublures) dispensé par Pascal Rophé et le National font oublier la facture somme toute assez académique de ce concerto au bénéfice de ses indéniables qualités poétiques.


Le rare Figures - Doubles - Prismes clôt la soirée en beauté. Coutumier du work in progress, Pierre Boulez (1925-2016), fort de son expérience de chef d’orchestre, révisa l’œuvre en 1968 mais ne sembla pas très satisfait du résultat, quand bien même la coda (ajout tardif) – dont le matériel thématique emprunte au Concerto «à la mémoire d’un ange» de Berg, joué par les deux violons solos avant de se propager aux autres pupitres – en transfigure totalement la trajectoire. Comme si une sensibilité jusque-là refoulée s’exprimait tout à coup sans ambages. Dans les deux premières parties, il faut endurer un orchestre extrêmement heurté, avec percussions spasmodiques et progression très séquentielle que la gestuelle coupante de Pascal Rophé cisèle avec soin. Quant aux timbres, c’est le mélange qui est recherché, Boulez s’inscrivant ici dans le sillage de Xenakis (Terretektorh) ou Berio (Allelujah II). Rétrospectivement, l’on ne peut s’empêcher percevoir ce complexe triptyque orchestral comme une étude préparatoire aux futurs Répons et Notations. Mais il en va de Boulez comme des grands maîtres de la peinture: cette étude est magistrale.



Jérémie Bigorie

 

 

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