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Du grand Kosky

Paris
Théâtre du Châtelet
01/21/2020 -  et 23, 25, 27, 29, 31 janvier 2020
Georg Friedrich Haendel: Saul, HWV 53
Karina Gauvin (Merab), Anna Devin (Michal), Christopher Ainslie (David), David Shaw*/Benjamin Hulett (Jonathan), Christopher Purves, Igor Mostovoi (Saül, Apparition de Samuel), Stuart Jackson (Le grand prêtre, Doeg, Abner, Un Amalécite), John Graham-Hall (La sorcière d’Endor)
Chœur constitué pour la production, Stéphane Petitjean (chef de chœur), Les Talens lyriques, Laurence Cummings (orgue de chambre et direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Katrin Lea Tag (décors, costumes), Joachim Klein (lumières), Otto Pichler (chorégraphie)


(© Patrick Berger)


Montée au festival de Glyndebourne en 2015, la production de Saül imaginée par Barrie Kosky a fait depuis le tour du monde, d’Adelaïde à Houston, en passant cette fois par Paris – à chaque fois avec un succès public et critique amplement mérité. On ne peut que souhaiter à ce spectacle de poursuivre plus avant son itinérance, à l’instar de l’emblématique Flûte enchantée présentée un peu partout (voir notamment à Düsseldorf en 2015) et qui fait office de carte de visite pour le metteur en scène australien. Grâces soient aussi rendues au Théâtre du Châtelet pour avoir eu la bonne idée de faire découvrir ce spectacle au public parisien, venu en nombre pour la première mardi soir.


Il est vrai que cette grande maison n’a pas ménagé ses moyens pour réunir des interprètes à la hauteur de l’événement – au premier rang desquels le chœur constitué spécialement pour l’occasion, vivement applaudi en fin de représentation pour sa cohésion et son engagement. Compte tenu de son rôle très important dans l’ouvrage, c’est là l’un des atouts décisifs de la soirée, permettant de découvrir cet oratorio dans les meilleures conditions. On se réjouit aussi de constater combien l’inspiration de Haendel est ici à son meilleur, autant par la variété des sentiments à l’œuvre que l’efficacité dramatique apportée par des récitatifs et des airs assez brefs (en comparaison des opéras du même Haendel). Mais c’est peut-être plus encore la richesse du livret de Charles Jennens qui explique l’intérêt de grands metteurs en scène pour cet ouvrage: la folie de Saül y rencontre l’ascension inexorable de son successeur David, sur fond de rivalités féminines et d’ambiguïtés avec son «ami» Jonathan.


Pour autant, Barrie Kosky surprend en replaçant d’emblée les destins individuels dans leur contexte guerrier: c’est bien la victoire contre Goliath et les Philistins qui permet à David de s’élever au-delà de sa condition, avant la défaite finale de Saül contre les Israéliens. L’immense tête coupée du géant, qui se dévoile peu à peu dans la pénombre, constitue la première image forte du spectacle, en guise de métaphore de la barbarie humaine. Entre les deux conflits, Kosky donne à réfléchir sur la capacité humaine à reproduire à l’infini son addiction à la violence et aux instincts mortifères: en faisant évoluer les protagonistes sur un tapis de cendres évocateur des lendemains de la guerre, Kosky met en relief l’insouciance et la frivolité de la foule des vainqueurs, ivres de leur succès et oublieux de la nécessité de préparer une paix durable. La transposition dans la haute société de Cour au temps de Haendel se montre on ne peut plus pertinente, tant Kosky nous donne à voir une élite décadente, crédule et stupide, autour d’une direction d’acteur vibrante et inventive qui rappelle souvent les outrances baroques imaginées par Federico Fellini pour son film Satyricon (1969).


La scénographie splendide moque les instincts carnassiers primaires des survivants, fiers de leur gibier étalé comme des trophées, tandis que les six danseurs mènent l’insouciance générale en multipliant les cabrioles dans un esprit populaire et premier degré, digne du XVIIIe siècle. Après l’entracte, la folie de Saül légitime le recours à un décor plus sombre, subtilement varié par Kosky: autant l’apparition surréaliste du chef d’orchestre à l’orgue que la scène de la sorcière marquent durablement les esprits. Très applaudi en fin de représentation, le metteur en scène australien n’oublie pas de se tourner vers le plateau vocal réuni, autre grand triomphateur de la soirée. Même si certains interprètes montrent quelques limites dans la projection vocale, peinant à passer la rampe, l’attention portée à la diction et à l’interprétation théâtrale donne un intérêt saisissant au spectacle. C’est sans doute ce qui explique pourquoi Christopher Purves a choisi de maintenir sa présence sur scène afin d’incarner Saül de toute sa majesté inquiète et hallucinée – accompagné d’Igor Mostovoi qui chante le même rôle depuis la fosse, avec beaucoup de mordant. A ses côtés, Christopher Ainslie interprète un David de grande classe, particulièrement émouvant dans ses airs délicats, tandis que David Shaw (Jonathan) n’est pas en reste dans la plénitude des phrasés, malgré un début un peu hésitant. Rien de tel pour Karina Gauvin (Merab) qui impose immédiatement son tempérament et ses accents toujours aussi pertinents de vérité dramatique, et ce malgré une tessiture grave que l’on aurait aimé plus fournie encore. Anna Devin semble se jouer aisément de toutes les difficultés vocales de son rôle de Michal, autour d’une ligne de chant harmonieuse et fluide, véritable délice pendant toute la soirée. Enfin, Stuart Jackson donne beaucoup de satisfactions, autant au niveau de la solidité vocale que dans la malice de son interprétation.


L’ensemble est mené de main de fer par un Laurence Cummings vif et tranchant, à la tête d’un orchestre des Talens lyriques affermi dans les graves. On pourra juste noter quelques raideurs dans l’Ouverture, bien vite rattrapées par des qualités audibles dans l’accompagnement, entre attention aux chanteurs et rigueur dans la rythmique.



Florent Coudeyrat

 

 

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