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Bis repetita... ou presque Berlin Philharmonie 01/16/2020 - et 17, 18 * janvier 2020 Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano et orchestre n° 22 en mi bémol majeur, K. 482
Anton Bruckner : Symphonie n° 4 « Romantique » en mi bémol majeur (version 1878-1880) Leif Ove Andsnes (piano)
Berliner Philharmoniker, Herbert Blomstedt (direction)
H. Blomstedt (© Sébastien Gauthier)
Il y a dix jours, Herbert Blomstedt dirigeait la Quatrième Symphonie d’Anton Bruckner à la Philharmonie de Paris, avec l’Orchestre de Paris, seconde partie d’un concert dont la première était consacrée à un concerto pour piano de Mozart (le Vingt-troisième). Pour notre part, la dernière fois que nous avions vu le vénérable chef diriger les Berliner Philharmoniker, il avait choisi de faire précéder la Troisième Symphonie de Bruckner du... Vingt-troisième Concerto de Mozart (voir ici). Recette maintes fois éprouvée donc, renouvelée en ce samedi soir avec, de nouveau, la Quatrième Symphonie du maître de Saint-Florian, précédée cette fois-ci du Vingt-deuxième Concerto de l’enfant de Salzbourg.
Orchestre conséquent mais, comme on l’avait déjà souligné il y a dix jours, Herbert Blomstedt a toujours eu une approche extrêmement vive et conquérante de Mozart (réécoutez les Concertos pour cor avec le légendaire Peter Damm!): le fait est que cette interprétation du Vingt-deuxième Concerto fut magnifique. Après une introduction orchestrale très vive (peu de vibrato chez les cordes, une petite harmonie splendide, des timbales en peau frappées par des baguettes en bois et non en feutre), le piano de Leif Ove Andsnes impressionne d’emblée par la clarté d’un jeu conquérant et plein de fraîcheur. On pourra éventuellement lui reprocher une manière de faire un peu distante de temps à autre, l’effusion n’ayant jamais affleuré au fil des trois mouvements, mais tout cela est tellement bien fait... Le deuxième mouvement, un Andante en ut mineur, instaure une évidente mélancolie que le toucher d’Andsnes, d’une finesse hallucinante (il faut dire qu’il connaît son Mozart, pour le jouer depuis des mois notamment avec l’Orchestre de chambre Mahler), transfigure de la première à la dernière note sans que jamais, là encore, nous ne ressentions le moindre affect, encore moins le moindre artifice dans le choix de tel ralenti ou de tel pianissimo. L’Allegro vivace assai conclusif est parfait: chantant, doué d’un réel panache, le jeu de Leif Ove Andsnes est là encore d’une fraîcheur indiscutable (un jeu de pédales très retenu, quelques appogiatures bien trouvées...), les musiciens de l’orchestre s’amusant avec lui sous la direction (du moins peut-on le supposer puisque le chef était, de notre place, complètement caché par le piano) toujours alerte et élégante de Blomstedt. Le public ne se trompa pas en applaudissant avec enthousiasme un résultat musical de toute beauté. En bis, Leif Ove Andsnes joua une magnifique «Gangar» (marche norvégienne), la deuxième des Six Pièces lyriques opus 54 de Grieg, rendant ainsi hommage à son illustre compatriote.
La dernière fois que le Philharmonique de Berlin a joué la Quatrième Symphonie de Bruckner, c’était, lors de la Musikfest 2017, sous la direction de Marek Janowski: une vraie et inattendue déception... Rien de tel ce soir! Car, il faut bien se rendre à l’évidence, les Berliner Philharmoniker peuvent être dans des mauvais jours mais, face à un chef capable de les galvaniser, ils se surpassent. Et ce fut le cas face à Herbert Blomstedt! On ne reviendra pas sur les affinités évidentes que ce chef entretient avec la musique de Bruckner et on évoquera seulement quelques instants de cette interprétation de haut vol, qui reste cependant un cran en-deçà de l’extraordinaire version que nous avions entendue en mai 2017à Berlin certes, mais Blomstedt dirigeant alors les Wiener Philharmoniker. Sans jamais sacrifier à la vision d’ensemble non seulement de chaque mouvement mais encore de la symphonie tout entière, Blomstedt est parvenu à nous faire entendre des passages dans le premier mouvement (contrechants de violoncelles, pizzicati de contrebasses, contraste entre le tutti orchestral et les trémolos de cordes avant la reprise du thème par le cor solo, toujours tenu avec un aplomb incroyable par l’inamovible Stefan Dohr) que nous n’avions jamais aussi bien perçus au concert à ce jour. Pointant légèrement l’index de sa main droite, balançant ses bras l’air de ne pas y toucher, Blomstedt n’en dirige pas moins l’orchestre quand il le faut à l’image des trois trombones, parfaitement guidés dans le début d’une coda somptueuse. Avec l’Orchestre de Paris, c’est notamment l’Andante, quasi allegretto qui nous avait impressionné: bis repetita ici avec des élans de cordes renversants, entrecoupés de passages où la frontière entre son et silence s’estompe plus que jamais. Le Scherzo permit à la machine berlinoise de faire pleinement ronfler ses moteurs! Les sept contrebasses assurent plus que jamais le spectacle (les archets attaquent les cordes avec une force démentielle!) et les cuivres rougeoient de plaisir, quitte à provoquer un léger décalage des trompettes avant le Trio (mettons cela sur le compte de l’enthousiasme des musiciens, évident tout au long du concert). Quant au Finale. Allegro moderato. Bewegt, doch nicht zu schnell, Blomstedt prend là aussi le soin de nous faire entendre les voix secondaires de l’orchestre, la mélodie confiée aux seconds violons imposant son rythme obsédant avec une maestria évidente, à l’image de l’orchestre, décidément sans grand rival dans ce répertoire.
Rappelé seul sur scène, mais étant resté près de l’entrée des artistes pour le salut final, Herbert Blomstedt (qui aura, auparavant, fait saluer et serré la main de tous les chefs de pupitres) assoit encore un peu mieux sa stature de brucknérien et de chef que tout le monde s’arrache aujourd’hui: autant dire qu’on attend avec impatience et délectation ses futurs concerts!
Le site de Leif Ove Andsnes
Sébastien Gauthier
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