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L’équilibre parfait

Strasbourg
Opéra national du Rhin
12/06/2019 -  et 8*, 10, 11, 13, 14, 15 et 17décembre 2019 (Strasbourg), 10, 12 janvier 2020 (Mulhouse)
Jerry Bock : Un violon sur le toit
Olivier Breitman (Tevye), Jasmine Roy (Golde), Neïma Naouri (Tzeitel), Marie Oppert (Hodel), Anaïs Yvoz (Chava), Mona Stoffel (Sprintze), Emma Albenesius (Bielke), Cathy Bernecker (Yente), Alexandre Faitrouni (Motel Kamzoil), Sinan Bertrand (Perchik), Bart Aers (Fryedka), Denis Mignien (Lazar Wolf), Mario Montalbano (Mordcha), Gérard Welchlin (le Rabbin), Laurent Koehler (Mendel), Christian Lorentz (Avram), Christophe de Ray-Lassaigne (Nachum), Valérie Zaccomer (Fruma-Sarah, Grand-Mère Tzeitel), Bruno Dreyfürst (Le Commissaire), Gaël Cheramy (Shandel) Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Koen Schoots (direction)
Barrie Kosky (mise en scène), Esteban Muñoz (reprise), Rufus Didwiszus (décors), Klaus Bruns (costumes), Diego Leetz (lumières), Otto Pichler (chorégraphie)


(© Klara Beck)


Le nom de Jerry Bock, disparu en 2010, ne nous dit plus grand chose. Et pourtant ce compositeur new-yorkais nous a laissé une bonne dizaine de comédies musicales, dont certaines ont connu leur heure de gloire (Tenderloin, Fiorello, She loves me...). Mais c’est bien le seul Fiddler on the Roof qui est resté plus ou moins consciemment dans les mémoires. Un succès énorme, pour ce musical créé à New York en 1964 à l’Imperial Theater, et qui a longtemps détenu un record absolu de longévité à Broadway, avec huit années consécutives à l’affiche.


Nombreux revivals new-yorkais et londoniens ensuite, ainsi qu’en Allemagne (sous le titre Anatevka), dès 1968 à Hambourg mais surtout en 1971 à l’Est, au Komische Oper de Berlin, dans une brillante mise en scène de Walter Felsenstein, là encore d’une longévité record, 500 représentations, dix-sept ans de présence à l’affiche et un demi-million de spectateurs (détail amusant, idéologie de l’ex-DDR oblige, les Etats-Unis y avaient disparu de la liste des pays d’émigration possibles à la fin !). En traduction française, devenu Un violon sur le toit, l’ouvrage a été représenté dès 1969 au Théâtre Marigny, avec Ivan Rebroff. Sans même parler de la large diffusion du film américain à gros budget de Norman Jewison en 1971. De quoi définitivement ancrer dans notre mental au minimum l’air le plus célèbre de la pièce If I Were a Rich Man, véritable tube, mais aussi les non moins irrésistibles Sunrise, Sunset, Matchmaker, Matchmaker, Tradition... ainsi que la plupart des péripéties d’un excellent livret tiré de deux ouvrages en yiddish de l’écrivain ukrainien Sholem Aleichem, adaptation réalisée par Joseph Stein et le parolier Sheldon Harnick, inséparable collaborateur de Jerry Bock.


Bien que moins tragique que West Side Story, autre incontournable de Broadway, Fiddler on the Roof est aussi un musical qui ne finit pas bien. Pourtant, en dépit de toutes les vicissitudes qu’y subit la petite communauté juive du village d’Anatevka, à l’approche du 20e siècle dans la Zone de Résidence russe, territoire occidental d’attribution précaire marqué par de nombreux pogroms et massacres, les messages y restent d’un optimisme émouvant. Un judicieux dosage humaniste : la force de caractère du personnage principal, le pauvre laitier Tevye, nanti de cinq filles à marier et d’une épouse bougonne à la langue bien pendue, famille entourée de bien d’autres silhouettes truculentes, la marieuse Yente à laquelle aucun ragot n’échappe, le vénérable rabbin du village, un peu gâteux mais de loin pas complètement, le boucher Lazar Wolf, veuf au cœur tendre mais trop vieux pour faire encore un parti présentable, même s’il a du bien... Une communauté soudée par le poids de traditions juives vécues à la fois comme d’indispensables points de repère et comme un héritage devenu trop lourd, surtout pour une jeune génération qui ne s’y résigne plus. Un consensus social fragile et pourtant perpétuel, miraculeux comme la présence aérienne et bienveillante d’un violoniste sur de nombreuses toiles de Chagall, en équilibre sur l’arête d’un toit.


Pour cette production, qui marquait symboliquement en 2017 les 70 ans du Komische Oper de Berlin, le metteur en scène australien Barrie Kosky n’a évidemment pas eu les coudées aussi franches que dans le grand répertoire lyrique. Les héritiers et ayants droit veillent encore, y compris ceux, redoutables, de Jerome Robbins, metteur en scène et chorégraphe de la production originale de Broadway. La restitution est donc obligatoirement assez fidèle, au détail près qu’ici la partition du violoniste, beaucoup plus étoffée à l’origine (dans le film elle est même interprétée par Isaac Stern), a été réduite aux seuls exposés des thèmes folkloriques qui en constituent l’ossature, puisque dans cette production, c’est un enfant qui la joue. L’idée est d’ailleurs jolie : un pré-ado moderne qui arrive sur scène en trottinette avec un casque sur les oreilles, déniche un violon dans une veille armoire et en tire quelques notes fragiles, ce qui réveille puis fait sortir tous les personnages de ladite armoire. Excellent dispositif tournant conçu par Rufus Didwiszus, empilement de mobilier usagé, brocante à portes multiples qui fournit tout un système de coulisses intelligemment exploité. D’où aussi un plateau relativement rétréci, mais qu’une virevoltante troupe de danseurs parvient à occuper sans encombre ni accroc. Là encore une chorégraphie classique, conforme à l’original, dont la célèbre Bottle Dance, clou du mariage de Tzeitel avec le tailleur Motel Kamzoil, ainsi qu’une démonstration d’entrechats russes d’une vigueur d’anthologie. Kosky paraît davantage audacieux dans la scène du cauchemar fictif de Tevye, d’un comique macabre délicieusement jouissif. Seconde partie plus méditative, sous la neige qui tombe en continu sur un plateau bientôt complètement vidé de son mobilier, soit pillé soit emporté en exil. Conclusion en suspens, au violon, par l’enfant resté seul...


Le transfert de cette production à l’Opéra national du Rhin s’est effectué dans d’excellentes conditions, et d’ailleurs avec toujours le chef original Koen Schoots, qui tire un parti très professionnel des musiciens de l’Orchestre symphonique de Mulhouse. Un travail délicat pour certains pupitres, appelés à gérer un style klezmer assez coloré. Logiquement on a choisi de donner l’ouvrage en traduction française, dans une adaptation de Stéphane Laporte qui ne gêne jamais musicalement, même si certaines répliques perdent un peu de leur caractère percutant. Distribution plutôt composée d’acteurs bien chantants que de vrais artistes lyriques, ce qui implique de devoir amplifier discrètement les voix, mais absolument personne ne démérite. Le rôle principal est en or, et Olivier Breitman l’incarne avec un parfait dosage d’humour et de tendresse, même si évidemment le timbre n’a pas l’épaisseur d’une vraie voix de basse. Mais plus que citer tous ces mérites individuels c’est surtout la parfaite cohésion d’ensemble, «comme à Broadway», qu’il faut souligner, ce qui inclut le formidable travail des Chœurs de l’Opéra du Rhin. Seul frustrant bémol par rapport à Berlin, scène de répertoire quasi disponible à la demande : le trop faible nombre de soirées prévues, dix en tout, ce qui est pourtant déjà la jauge haute pour un spectacle donné à l’Opéra national du Rhin. Dommage pour tous ceux qui n’ont pas su s’y prendre à temps: ils auront manqué là un véritable bijou.



Laurent Barthel

 

 

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