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Cerf poétique

Berlin
Komische Oper
12/11/1999 -  
Hans Werner Henze : Le Roi Cerf
Stephan Spiewak (Leandro), Brigitte Geller (Costanza), Neven Belamari (Tartaglia), Tatjana Korovina (Scollatella), Andreas Conrad (Checco), Daniel Kirch (Coltellino), Werner Haseleu (Cigolotti)
Harry Kupfer (mise en scène), Hans Schavernoch (décors), Nina Reichmann (costumes), Franck Evin (lumières)
Orchestre et choeurs du Komische Oper, Tetsuro Ban (direction)

Henze avait juste trente ans lors de la création de König Hirsch au Städtische Oper de Berlin en 1956, et cet opéra représente une étape importante dans sa carrière. Après d’austères études dodécaphonistes sous la direction de Wolfgang Fortner et René Leibowitz et quelques tentatives post-sérielles (dont la plus aboutie est sans doute Boulevard Solitude (1952), qui est repris de temps en temps en Allemagne), le compositeur westphalien avait pris quelques années auparavant ses distances avec le cercle de Darmstadt en décidant, dans le mépris général, de s’installer quelque temps dans le sud de l’Italie. C’est là que fut pensé et en partie composé cet opéra, première oeuvre importante de sa nouvelle manière et dont le style léger, aérien, un peu fantastique (on pense parfois à l’Obéron de Weber) tranche délibérément avec le climat musical plutôt austère de cette époque. L’orchestration est originale et colorée (clavecin, guitare, prédominance des bois sur les cordes) et favorise les chanteurs, lesquels sont dotés de longues lignes belcantistes, dans une tessiture assez flatteuse. Il serait malgré tout erronné de parler d’italianitá pour cette partition dont le style vocal reste très nuancé et n’appelle guère aux épanchements excessifs. Ces arguments n’avaient tout de même pas réussi à convaincre le chef Hermann Scherchen qui lors de la création avait supprimé tous les passages jugés trop cantabile, sous prétexte que l’opéra contemporain ne devait plus comporter d’arias ! L’oeuvre mit d’ailleurs un certain temps à s’imposer, puisque ce n’est qu’en 1985, à Stuttgart, que fut créée sa version originale, laquelle dure il est vrai plus de cinq heures et contient sept cent pages de partition. Entre temps, Henze avait composé une version plus courte pour orchestre réduit, Le Roi Cerf ou les errances de la vérité, dont la première eut lieu à Kassel en 1963. C’est cette version remaniée que l’opéra comique de Berlin a décidé d’ajouter à son répertoire.

L’argument est tiré du recueil des dix Fiabe de Carlo Gozzi, ces "contes merveilleux portés à la scène" dont sont déjà extraits Turandot et L’amour des trois oranges. Le roi Léandre cherche à se marier et pour ce faire, le magicien Cigolotti lui confie un détecteur de mensonge qui l’aidera à trouver une jeune fille l’aimant vraiment et pour lui-même. Malheureusement, une fois la personne trouvée, Léandre prend la décision saugrenue de briser le détecteur qu’il juge maintenant inutile. L’intriguant Tartaglia en profite pour semer le doute dans son esprit, réussit à le faire abdiquer et à devenir roi à sa place. Léandre se réfugie alors dans la forêt, où Cigolotti lui fait prendre la peau d’un cerf qu’il avait tué à la chasse...

Il peut sembler surprenant de confier cette histoire quelque peu féérique à Harry Kupfer, plutôt rompu aux mises en scènes "industrielles" du gros répertoire allemand. On en trouve d’ailleurs une légère trace de son style habituel dans la curieuse turbine d’aération faisant office de trône surplombant la prison au dernier acte, et qui semble tout droit sortie du Siegfried de Bayreuth. Dans l’ensemble, il arrive cependant à instaurer un climat assez poétique, plutôt adéquat. On aime beaucoup les suivantes faussement naïves à ombrelles miroir lors du "Brautschau", et aussi ces lianes caméléon à hauteur variable qui évoquent les mystères de la forêt, un peu à la manière du cinéaste d’animation René Laloux (on pense aux Maîtres du Temps en particulier). De plus, il choisit une direction d’acteurs tout en souplesse et s’accordant très bien avec la direction fluide de Tetsuro Ban, merveilleux de précision. Une telle entente entre direction musicale et mise en scène est suffisamment rare à l’opéra pour mériter d’être signalée.

Le plateau de chanteurs est très inégal. Le rôle de Léandre est défendu par un ténor physiquement un peu pataud, dont la voix montre certes une puissance convenable mais aussi un timbre plutôt laid évoquant le triste son d’une bouteille vide (le grave et le médium étant d’ailleurs presque entièrement tubés). La méchante basse montre plus d’assurance dans son jeu de scène, mais accusait ce soir-là une voix fatiguée, parfois même inaudible (on sentait pourtant que le chef faisait de son mieux pour ne pas trop la couvrir). Un Moine dans la récente production de Don Carlos, ce même chanteur s’en était alors bien mieux sorti, à défaut d’être inoubliable. La distribution offre plus de satisfactions du côté des femmes, avec une Scolatella à la voix piquante et mutine, montrant beaucoup d’abattage et vraiment très drôle dans son air d’entrée. Peut-être par faiblesse devant tant de grâce physique, nous sommes entièrement tombés sous le charme de Brigitte Geller (autre revenue du Don Carlos où elle chante la voix céleste), autant pour son très joli soprano léger que pour son interprétation naïve et touchante. Les deux seconds ténors, Andreas Conrad (déjà entendu dans Rienzi au printemps dernier) et surtout Daniel Kirch, timbre somptueux dans le médium et aigu très sûr, sont excellents à tous points de vue et semblent promis à un bel avenir. Enfin, il serait injuste de ne pas mentionner Werner Haseleu, acteur malicieux et magnifique conteur à la diction fort musicale, qu’on rêverait d’entendre en Droll ou en Bassa Sélim.



Thomas Simon

 

 

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