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Paradoxes cinématographiques

Paris
Philharmonie
12/08/2019 -  
Naqoyqatsi
Philip Glass (musique), Godfrey Reggio (réalisation)
Matt Haimovitz (violoncelle)
Philip Glass Ensemble, Michael Riesman (direction)




Les 6, 7 et 8 décembre était proposée dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie la trilogie Qatsi conçue par le réalisateur américain Godfrey Reggio (né en 1940) et Philip Glass (né en 1937) entre 1982 et 2002. Le 8 décembre, la salle était ainsi transformée en cinéma, un gigantesque écran étant mis en place, l’ensemble instrumental, sonorisé, étant installé à ses pieds, lui tournant le dos et le chef regardant le film.


La présence du public était plus qu’honorable en ce dimanche après-midi compte tenu des difficultés de transports liées aux grèves du transport public. Il parvint dans la salle d’extrême justesse pour ce dernier volet de la trilogie, le plus abstrait et sans doute le plus paradoxal, mais il était là, enthousiaste ou dubitatif, selon.


On revenait aux origines du cinéma, à l’époque où les films étaient muets et où l’illustration musicale était réalisée en direct, dans les salles. Mais en apparence seulement. La musique de Philip Glass n’illustre pas vraiment le film; elle en fait partie intégrante, l’image pouvant être perçue aussi comme accompagnant la musique. Au-delà du sous-titre, Life is War, il n’y a pas de récit mais un déluge d’images de toutes sortes, soutenu par un délire sonore, sans répit, qui fait même espérer, au bout d’un moment, quelques instants de... paix et de silence, l’objectif de Godfrey Reggio étant sans doute ainsi atteint.


L’autre paradoxe réside dans le fait que le film dénonce, dans ce qui peut apparaître comme une sorte de fatras, la technologie alors qu’il n’existe que grâce à la technologie. Le numérique a en effet permis de retravailler toutes les images, souvent pour les salir; la dénonciation du monde des images passe par leur utilisation, transformant leur laideur en œuvre d’art total, sorte de nouvel opéra.


La naïveté des télescopages, les poncifs et leur présentation hystérique, peuvent déplaire – une spectatrice disait à la sortie que le film avait mal vieilli – mais au fond, n’est-ce pas le contraire? Au vu des débats d’aujourd’hui, la trilogie n’était-elle pas prophétique?


Le pessimisme du film n’exclut pas l’humour. Par exemple, un moment, on voit une jeune femme élégante, arborant un magnifique sourire et un rouge à lèvres éclatant, qui s’apprête à dévorer un hamburger. L’image est ralentie et on s’attend à voir son beau visage, lisse, complètement déformé par l’action consistant à engloutir l’affreux hamburger dégoulinant de sauce. Le premier volet de la trilogie, sans doute le meilleur parce que le plus original et surtout le plus cohérent, Koyaaniqatsi, comportait des passages similaires.


La musique n’est pas non plus exempte de paradoxes. Qualifiée rapidement de minimaliste, elle est en vérité incroyablement sophistiquée. Elle est moins minimaliste que répétitive et ses rythmes incessants nous emportent il faut le dire assez facilement car le maître Glass a du métier. Saturée par la sonorisation, elle est bien éloignée de l’Arte povera. .Lors du concert, elle était interprétée par un ensemble instrumental plus réduit (dix musiciens) que dans la bande son originale du film. Aucune corde n’était sur la scène, hormis le violoncelle de Matt Haimovitz, clairement un cran en dessous de celui de Yo-Yo Ma, interprète dans la bande son dont le nom était rappelé dans le générique de fin alors qu’il ne jouait pas; accents brutaux et incertitudes dans les aigus gênaient un discours malgré tout éminemment lyrique. La voix de Lisa Bielawa était de son côté parfois trop fortement sonorisée. Mais l’ensemble restait parfaitement tenu. Il est vrai que l’équipe dirigée du clavier par Michael Riesman connaît son Glass sur le bout des doigts. Elle tourne dans le monde entier depuis des années avec les mêmes partitions sous les yeux, partitions qui au demeurant se ressemblent quand même fortement. Les changements de rythme ou les courtes pauses musicales correspondaient à de brefs écrans noirs ou de nouveaux thèmes projetés sur l’écran, pour mieux repartir et nous emporter.


On restait au total encore fasciné par ces objets expérimentaux, en passe de figurer dans l’histoire du cinéma comme des œuvres majeures.



Stéphane Guy

 

 

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