About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Révélation

Strasbourg
Palais de la Musique
11/06/2019 -  et 7 novembre 2019
Sergei Prokofiev : Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre, opus 125
Serge Rachmaninov : Symphonie n° 2 en mi mineur, opus 27

Jean-Guihen Queyras (violoncelle)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Stanislav Kochanovsky (direction)


(© Gregory Massat)


Stanislav Kochanovsky, vous connaissez ? Personnellement on avoue n’avoir jamais entendu parler auparavant de ce jeune chef, ou à défaut ne pas avoir retenu son patronyme, d’une russité générique de prime abord difficile à mémoriser. La trentaine bien entamée pourtant, et des habitudes déjà à Saint-Pétersbourg, Zurich ou Verbier, mais peut-être quelques déclics qui tardaient à se produire. Or maintenant c’est bien une carrière internationale de grande ampleur qui paraît démarrer, à la lecture de la liste impressionnante d’orchestres d’élite à la tête desquels Kochanovsky débute en ce moment. Pour des programmes de concert le plus souvent russes, mais là c’est le lot habituel d’un chef invité, amené à faire valoir prioritairement ses compétences dans son patrimoine national.


Encore une nouvelle tête, donc, à une époque assez friande de jeunes tempéraments exubérants voire ébouriffés. Mais sitôt entré sur scène Stanislav Kochanovsky affirme sa différence : démarche assurée, apparence soignée, abord manifestement affable, et dès l’attaque de l’orchestre, en à peine quelques gestes stupéfiants de précision, une autorité qui capte l’attention et ne lâche plus personne. On est convaincu en même pas vingt secondes: vraiment rien d’un produit savonnette lancé à coups d’opérations marketing, mais un vrai et solide talent. Le son même de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg en paraît d’emblée à son meilleur, aération et transparence obtenues grâce à un équilibrage entre les pupitres certes soigneux mais qui paraît aussi s’effectuer très naturellement, dans l’instant, l’emprise du chef s’exerçant fermement tout en laissant aux musiciens la liberté nécessaire pour que les respirations restent d’une musicalité idéale.


Une assurance qui rend passionnante cette exécution de la Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre de Prokofiev, envisagée vraiment comme une pièce symphonique à part entière avec soliste principal (Symphonie concertante ou Symphonie-concerto : les deux titres restent en vigueur, même si le premier, d’allure davantage néo-classique et qui reste le plus usité aujourd’hui, n’est peut-être qu’une traduction défectueuse du russe). On notera aussi la complicité qui peut s’installer à tous les étages, entre le soliste et les différents premiers pupitres, aussi parce que Jean-Guihen Queyras a déjà beaucoup travaillé à Strasbourg en tant qu’artiste en résidence et qu’il y connaît maintenant particulièrement bien les musiciens. Pour ce soliste dont on apprécie le raffinement et la perpétuelle curiosité, toujours en quête d’achèvements subtils, affronter une œuvre aux exigences virtuoses aussi brutales ne va cependant pas de soi. L’ouvrage a été vraiment conçu par Prokofiev pour le son de violoncelle énorme de Mstislav Rostropovitch, jamais à court de puissance. Reste à nous démontrer aujourd’hui qu’on peut aussi aborder ce cheval de bataille autrement, en chargeant moins, en laissant vibrer les cordes avec davantage de nuances et de déliés, et c’est ce à quoi Jean-Guihen Queyras parvient avec brio. Cela dit l’exécution d’une telle œuvre continue de relever aussi du challenge sportif, avec ses plongées vertigineuses pour aller chercher des aigus qui doivent sonner toujours plus fort. Et la grandiloquente cadence médiane de l’Allegro giusto manque quand même ici d’un rien de gras. Mais tant pis, car il y a de très belles compensations ailleurs. Grand moment ensuite, quand Queyras ose un bis diamétralement opposé, la Sarabande de la Première Suite de Bach, articulée ductilement en coups d’archet peu appuyés, qui paraissent presque glisser sur l’ornementation.


Conséquent massif orchestral en seconde partie, avec la Deuxième Symphonie de Rachmaninov, dans lequel on s’engage cependant en toute confiance, ou en tout cas très curieux de la façon dont Stanislav Kochanovsky va nous le faire visiter. Dès l’introduction aux cordes graves, l’autorité du chef s’impose immédiatement, rapport à la fois catégorique et souple avec des musiciens qui peuvent à nouveau s’exprimer sans être bridés, avec toujours une ligne directrice et une cohésion impossibles à perdre de vue, du fait de cette direction qui ne flanche jamais. Discret fléchissement quand même dans le somptueux Adagio, cette longue romance d’un lyrisme délicieusement rachmaminovien, pour laquelle Kochanovsky préfère déposer sa baguette et diriger l’orchestre à mains nues. Tentation légitime de vouloir pétrir l’effusion mélodique avec davantage de souplesse, mais qui induit un certain manque de précision des cordes voire une tendance des couleurs à baver sur les contours. Sans doute la recette marcherait-elle mieux avec un orchestre davantage accoutumé à ces épanchements mélodiques typiquement russes. Au passage on s’amuse aussi de certaines trémulations des phalanges pour tenter d’assouplir les attaques, un tic de gestique qui du coup fait très «Valery Gergiev» et que l’on comprend très bien dans ce contexte, mais qui ne fonctionne pas vraiment. Cela dit ce mouvement, même un peu moins confortable que le reste, comporte aussi son lot de splendeurs, y compris le rêveur solo de clarinette de Sébastien Koebel. Pour le final, Kochanovsky récupère sa baguette en catastrophe, alors qu’il a déjà donné le départ, et immédiatement tout s’asseoit avec une précision retrouvée. Formidable conclusion, où l’obstination du chef à tenir son orchestre sans jamais lui laisser prendre une quelconque ascendant ou se départir de sa concentration, maintient la performance à un niveau exceptionnellement brillant. On apprécie aussi la beauté de la pâte, avec un rôle stratégique tenu par des cuivres impeccables (dommage que parfois les trompettes tranchent, non pas par manque de justesse mais par une relative banalité de timbre). Péroraison parfaite sur les dernières mesures, où le chef fait encore très professionnellement monter la tension de quelques crans. Quel parcours, et surtout quel chef invité, d’ailleurs applaudi d’une façon très complice par l’orchestre à la fin! Stanislav Kochanovsky: il devient vraiment urgent d’essayer de retenir ce nom-là.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com