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Ange ou démon

Paris
Philharmonie
10/29/2019 -  
Alexandre Scriabine : Etude, opus 2 n° 1 – Deux Poèmes, opus 32 – Huit Etudes, opus 42 – Poème tragique, opus 34 – Etude, opus 8 n° 12 – Sonate pour piano n° 9, opus 68
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 31, opus 110
Alexandre Borodine : Petite Suite: 1. «Au couvent», 2. «Intermezzo» et 6. «Sérénade»
Serge Prokofiev : Sonate pour piano n° 8, opus 84

Daniil Trifonov (piano)


D. Trifonov (© Dario Acosta)


On le dirait sorti tout droit d’un roman de Dostoïevski. Ange ou démon? Les deux? N’est-ce pas ce qu’il faut pour Scriabine? Daniil Trifonov, en tout cas, y fascine, stupéfiant par sa maîtrise du clavier, de ses nuances et de ses couleurs, dont l’éventail semble infini. Du dolorisme fin-de-siècle de l’Etude op. 2 n°1 à la furia de la dernière de l’Opus 8, des délicatesses du premier poème de l’Opus 32 ou de la troisième Etude de l’Opus 42 à l’Esaltato diabolique de la Sixième, ce piano illuminé, cyclothymique, névrosé, irisé ou percussif, est bien celui de Scriabine, épanoui dans une Neuvième Sonate très « messe noire » où le jeu du pianiste russe fait merveille.


Fallait-il enchaîner la Sonate avec la Trente-et-unième de Beethoven? On peut en discuter. Mais il joue justement Beethoven comme Scriabine... La magie, en tout cas, opère moins ici, sinon du seul point de vue sonore – les arpèges du premier mouvement, par exemple: le concentré de forme qu’est cette avant-dernière sonate beethovénienne disparaît ici, finissant par se diluer même si la fugue peut séduire par son côté processionnel à l’étrangeté hypnotique – malgré ou à cause de sa lenteur.


Sous de tels doigts, les trois extraits de la Petite Suite de Borodine se trouvent transfigurés. Si la Huitième Sonate de Prokofiev renoue avec les visions fantasques de Scriabine, elle est magnifiquement tenue, à travers d’abord un premier mouvement entre la finesse de l’Andante dolce rêveur et la verve coruscante de l’Allegro moderato coruscant, sombre et démoniaque, Un très raffiné Andante sognando, mine de rien, fait ensuite de pertinents clins d’œil au Menuet de la Symphonie classique. Le Vivace déferle enfin, tarentelle insaisissable à force d’agilité, avec un côté grotesque dans l’Allegro ben marcato, qui renvoie à une tradition russe que Prokofiev a souvent perpétuée, avant que la fin éblouisse par sa jubilation virtuose. C’est évidemment très différent de ce que faisait un Emil Gilels, créateur de l’œuvre en 1944: pour le jeune Trifonov, cette Huitième Sonate n’est sans doute pas une « Sonate de guerre » – ainsi l’a-t-on surnommée, comme les deux précédentes. Pour terminer, deux bis de Rachmaninov, « arrangés » par Trifonov: la célèbre Vocalise et le premier volet des Cloches.


On ne souscrit pas forcément à tout, mais on est subjugué.



Didier van Moere

 

 

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