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Opéra royal à tous points de vue

Versailles
Opéra royal
10/10/2019 -  et 11*, 12, 13 octobre 2019
André-Ernest-Modeste Grétry : Richard Cœur de Lion
Rémy Mathieu (Blondel), Reinoud Van Mechelen (Richard), Melody Louledjian (Laurette), Marie Perbost (Antonio, la Comtesse), Geoffroy Buffière (Sir Williams), Jean-Gabriel Saint-Martin (Urbain, Florestan, Mathurin), François Pardailhé (Guillot, Charles), Cécile Achille (Madame Mathurin), Charles Barbier (Sénéchal), Agathe Boudet (Colette), Virginie Lefèvre (Béatrix), Le Ballet de l’Opéra Royal
Chœur et orchestre du Concert Spirituel, Hervé Niquet (direction musicale)
Marshall Pynkoski (mise en scène), Jeannette Lajeunesse Zingg (chorégraphie), Antoine Fontaine (décors), Camille Assaf (costumes), Hervé Gary (lumières), Géraldine Moreau-Geoffrey (combats), Charles Di Meglio (assistant chorégraphie)


R. Mathieu (© Agathe Poupeney)


Belge de naissance mais français d’adoption, André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813) débute sa formation musicale en Belgique avant de la poursuivre en Italie où son premier opéra, Les Visitandines (1765), fut créé à Rome avec un grand succès. Arrivé à Paris en 1767, il compose plusieurs opéras pour l’Opéra-Comique (dont il devient vite un pilier au même titre que Philidor, Gossec et Dalayrac) qui furent autant de réussites: Le Huron (1768), Lucile un an plus tard (avec le fameux quatuor «Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille?»), Zémire et Azor (1771), Le Magnifique (1773), Aspasie (1789)... Directeur de la musique de Marie-Antoinette, professeur au Conservatoire à partir de 1795, l’année même où il est reçu à l’Institut, Grétry compose Richard Cœur de Lion en 1784 sur un livret du fameux Michel-Jean Sedaine. Même si l’histoire a surtout gardé en mémoire cet opéra grâce au fameux «O Richard, ô mon Roi» qui, dans un climat de plus en plus tendu, fut entonné par les gardes des Flandres et les gardes français qui protégeaient la famille royale, lors d’un grand banquet qui se tint au château le 1er octobre 1789 et dont, réalité ou légende, le luxe fit beaucoup pour le départ de la famille royale à Paris le 6 octobre, force est de constater que son succès ne s’est jamais démenti. Pourtant, ce cycle de représentations fait office de véritable résurrection puisqu’il s’agit là rien moins que de la première intégrale donnée à Versailles depuis 1789!


L’intrigue est assez classique. Blondel, fidèle serviteur du roi Richard Cœur de Lion sous les ordres duquel il a combattu lors des Croisades, est à sa recherche, le sachant prisonnier près de Linz, en Autriche. Profitant de la passion qui étreint Laurette pour Florestan, qui n’est autre que le gouverneur de la forteresse où est enfermé Richard, Blondel parvient, après quelques péripéties, à se glisser dans le château pour voir son roi. Il lui fait alors savoir que la comtesse Marguerite, amoureuse de Richard, l’attend également à quelques encablures de sa prison. Prenant prétexte du projet de mariage entre le vieux Mathurin à la jeune Mathurine que l’on croise au début de l’œuvre dans l’ambiance joyeuse d’une fête de village, Blondel et Marguerite organisent une grande réception à laquelle est convié Florestan (qui sait pouvoir y rencontrer Laurette) mais qui, tombé dans le piège qui lui a été tendu, est immédiatement arrêté. Privés de leur chef, les gardes de la forteresse livrent un bref combat contre les assaillants fidèles à Marguerite qu’ils perdent, l’opéra se terminant sur l’union entre Richard et Marguerite d’une part, entre Florestan et Laurette d’autre part et sur le triomphe de Blondel, qui s’affirme comme le véritable héros de cette intrigue.


En effet, l’opéra aurait plutôt dû s’appeler «Le Triomphe de Blondel» puisque, personnage central de l’action, c’est également lui qui se voit offrir les plus beaux airs, qui intervient le plus fréquemment et qui est célébré par tous à la fin de l’opéra. Dans ce rôle, Rémy Mathieu excelle. Même si certains aigus peinent un rien parfois, le célèbre «O Richard, ô mon roi, ton univers t’abandonne» (acte I) est véhément à souhait, héroïque comme il convient. La projection facile et la diction parfaite – un compliment qui doit d’ailleurs être adressé à l’ensemble de l’équipe – témoignent des talents indéniables du jeune chanteur qui nous offrit également un très beau duo avec Laurette, «Un bandeau couvre les yeux du dieu qui rend l’amour» (acte I également). Pour le personnage de Laurette, Melody Louledjian apporte toute la fraîcheur, l’ingénuité et la mutinerie souhaitées. La jeune soprano s’illustre en particulier dans un air assez remarquable, «Je crains de lui parler la nuit», où sa voix, douce et presqu’hésitante, se cale sur les pulsations des cordes et des flûtes de l’orchestre à l’image des pulsations passionnées de son cœur.


Et Reinoud Van Mechelen me direz-vous? Car, sans vouloir amoindrir le talent du reste de l’équipe, c’est lui qu’on attendait en premier lieu dans cet opéra où il tient le rôle-titre. Richard n’apparaît qu’à partir du deuxième acte mais son premier air, d’emblée, campe à la fois le personnage et le chanteur («Si l’univers entier m’oublie»), soutenu par un orchestre dont les accents sont dignes de Léonore. Le duo avec Blondel est absolument formidable, la voix de Reinoud Van Mechelen, pur produit du «Jardin des voix» de William Christie, témoignant d’une puissance et d’une chaleur digne de tous les éloges. Ne faisons pas l’impasse à ce stade sur la qualité, tant chez Van Mechelen que chez les autres personnages, de la diction qui revêt dans ce type d’opéras une importance particulière. En effet, les passages chantés et purement orchestraux alternent avec plusieurs séquences parlées qui requièrent un art consommé du théâtre; comme l’écrit très justement David Charlton dans son article «Grétry, instaurateur de l’opéra moderne» (Grétry en société, coll. Regards sur la musique chez Mardaga, 2009, p. 26), «la musique de Grétry est toute d’exécution, en ce sens qu’elle force le chanteur à faire l’acteur». Dans ses Mémoires, Grétry estimait lui-même: «Laissons donc parler la scène. Formons à la fois des comédiens déclamateurs, et des musiciens chanteurs.» A ce jeu-là, Reinoud Van Mechelen montre une aisance que certains de ses partenaires n’ont pas tout à fait; dommage que Grétry n’ait finalement pas accordé plus d’importance au personnage éponyme! Le fait que les chanteurs puissent évoluer non seulement sur la scène mais aussi sur une rampe devant l’orchestre (permettant aux spectateurs du parterre de les voir chanter dans une impressionnante proximité), voire dans la salle, accentue sans nul doute cette théâtralité totale. Marie Perbost, qui incarne à la fois Antonio et la Comtesse, témoigne d’une réelle agilité vocale, tout particulièrement dans la scène de l’acte II où elle est requise pour un duo avec Richard, puis un trio élargi lorsqu’ils sont rejoints par Blondel et le chœur. Parmi les personnages secondaires, mention spéciale aux voix masculines de Geoffroy Buffière (excellent Sir Williams) et de Jean-Gabriel Saint-Martin, particulièrement remarquable dans le rôle de Florestan.


Chez Grétry, qui aime à faire appel aux scènes populaires, le chœur est important: celui du Concert Spirituel est plus qu’à son aise! Enchaînant par exemple sur les introductions chantées par Blondel («Que le sultan Saladin rassemble en son jardin» à l’acte I, «Oui chevaliers, oui, ce rempart tient prisonnier le roi Richard» à l’acte III), les chanteurs du chœur (notamment les voix masculines) contribuent à enrichir un opéra déjà haut en couleur. Car, que voilà un bel orchestre! Oh, certes, qu’on ne cherche pas un génie digne de Mozart ou de Gluck mais ne boudons pas notre plaisir. Hervé Niquet sait varier les atmosphères, des passages pastoraux (les deux flûtes à bec) aux accents plus guerriers (trompettes, timbales, cors aidant) en passant par la scène de l’orage et les séquences où brille le violon solo de Solenne Guilbert, qui illustra notamment l’air de violon joué par Blondel pour se faire reconnaître de Richard, cette mélodie symbolisant le lien entre les deux hommes et Marguerite. Les accents martiaux initiaux du début de l’opéra se muent immédiatement en accents plus bucoliques pour accueillir les lavandières de la première scène de l’acte I: on pourra sourire à l’enchaînement de toutes ces scènes qui sont tout autant de poncifs mais l’action ne connaît guère de pause et la bonne heure et demie que dure l’opéra passe en un rien de temps.


Il faut dire que l’ensemble se déroule sur une scène aux décors parfaitement réalisés, illustrant à merveille un Moyen-Age idéalisé que Grétry allait de nouveau mettre en musique tant dans Raoul Barbe-Bleue (1788) que dans Guillaume Tell (1791). Seule déception: la danse, la chorégraphie ne revêtant guère d’originalité et nous semblant bien souvent «gnangnan» en dépit du talent des interprètes. On pourrait d’ailleurs en dire autant sur le jeu d’acteurs, qui est limité à l’essentiel, les mouvements sur scène manquant souvent de spontanéité et obéissant surtout à une simple symétrie d’un personnage à l’autre.


Pour autant, voilà une résurrection opératique digne des plus vifs éloges et qui s’inscrit parfaitement dans le cadre des célébrations du deux cent cinquantième anniversaire de l’Opéra royal. La sortie du disque et du DVD du spectacle est attendue pour le printemps 2020: un bon moyen pour se remémorer ou découvrir une représentation exemplaire à plus d’un titre!


Le site de Reinoud Van Mechelen
Le site de Rémy Mathieu
Le site de Melody Louledjian
Le site de Marie Perbost
Le site de Jean-Gabriel Saint-Martin
Le site de Cécile Achille
Le site du Concert Spirituel



Sébastien Gauthier

 

 

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