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Une nouvelle cloche à Strasbourg

Strasbourg
Palais de la Musique
09/13/2019 -  
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Le Lac des cygnes, Suite, opus 20a
Serguei Prokofiev: Concerto pour piano n° 2, opus 16
Modeste Moussorgski : Tableaux d'une exposition (orchestration Maurice Ravel)

Nicolaï Lugansky (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


N. Lugansky , M. Letonja (© Charlotte Aleman)


Sous les doigts de Nicolaï Lugansky, les premières mesures de l’Andantino du Deuxième Concerto de Prokofiev affichent de si curieux relents debussystes qu’on dresse immédiatement l’oreille, en se demandant toutefois où tout cela va nous mener. Et à l’issue du très long premier mouvement, on peine toujours à répondre à cette question. Le jeu du pianiste russe est superbe, la technique imparable, ne se contentant jamais d’approximations, mais la construction manque d’une agogique plus musclée. Ce Prokofiev-là requiert en permanence qu’on lui réinjecte une tension qui doit nous conduire toujours plus loin, avec pour point culminant cette monstrueuse cadence du premier mouvement qu’il faut tendre comme l’arc d’Ulysse. Gare à la moindre baisse de régime, qui fera retomber piteusement l’assaut. Or c’est précisément ce qui se passe, et non seulement dans cette cadence distendue, quand le soliste s’égare en de subtils raffinements, d’autant moins opérants que par ailleurs Marko Letonja accompagne en gardant une largeur de champ peu compatible avec cette tendance aux joliesses miniatures. Même constat de perplexité devant un Finale qui tourne à vide, n’en finit plus d’accumuler les accords dans tous les coins du clavier, sans motivation clairement explicitée. Meilleure réussite pour les deux fluides mouvements médians, où la principale difficulté demeure de se caler en parfaite synchronisation avec l’orchestre, ce qui exclut toute possibilité de musarder en chemin. Peut-être est-ce parce qu’on a eu trop souvent la chance d’écouter de vraies bêtes fauves du piano arpenter ce concerto, avec la sauvagerie de grands carnivores affamés (les Argerich, Bronfman, Trifonov et autres Toradze...). En tout cas il est difficile d’adhérer pleinement à cette lecture très (trop ?) propre et bien posée. Dans le Prélude opus 32 n° 12 de Rachmaninov accordé en bis, Lugansky paraît davantage dans son élément, avec des sonorités noblement calibrées et un toucher qui magnifie chaque changement d’éclairage. Mais là encore on perçoit un rien de soulignement ostensible des phrasés dont cette musique pourrait se passer sans dommages.


Pour sa rentrée, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg a choisi Le Lac des cygnes, un ballet qu’il a eu très régulièrement l’occasion de jouer dans la fosse de l’Opéra national du Rhin en début d’année et dont les musiciens connaissent chaque recoin. L’aisance de l’exécution de la Suite opus 20a est remarquable, ainsi que l’homogénéité de sonorité des cordes voire des cuivres, cors inclus. Ne manque qu’un rien de classe supplémentaire, Marko Letonja se focalisant à juste raison sur l’effet global, avec beaucoup de prestance, mais au détriment de petits détails qui, mieux ajustés, rendraient l’exécution encore plus prestigieuse. Un niveau d’excellence que l’on retrouve déjà à plein dans les solos instrumentaux (le hautbois de Sébastien Giot, le très élégant solo de violon de Charlotte Juillard, le violoncelle chaleureux d’Alexander Somov, la harpe de Pierre-Michel Vigneau...).


Comparés à une exécution précédente par les mêmes il y a quatre ans (déjà un concert de rentrée), les Tableaux d’une exposition ont acquis un relief nettement plus brillant. Les enchaînements entre les divers Promenades et Tableaux s’effectuent parfaitement et chaque pièce a été retravaillée avec beaucoup de précision dans les détails, sans jamais compromettre l’élan de l’ensemble. Comme d’habitude les soli instrumentaux sont de haute volée, à commencer par le majestueux «Bydlo» de Micaël Cortone d’Amore au tuba, sur un instrument de surcroît vétilleux à maîtriser, difficultés dont on ne s’aperçoit jamais. En revanche, si dans «Samuel Goldenberg et Schmuyle», Jean-Christophe Mentzer parvient au bout de son solo sans craquer, c’est au prix d’une fatigue voire d’un épuisement que l’on devine à l’oreille, alors qu’ils devraient passer davantage inaperçus. «Grande Porte de Kiev» un peu particulière pour terminer, puisque l’orchestre y inaugure une nouvelle cloche : non plus l’instrument tubulaire habituel, mais une vraie cloche, complémentaire de celles dont Strasbourg dispose déjà pour la Symphonie fantastique de Berlioz. L’instrument donne à entendre un mi bémol tellement vigoureux qu’il faut l’isoler tout en haut, sur les marches les plus élevées derrière l’orchestre, et sa sonorité un peu sourde (forcément moins pure et aussi moins juste que celle de son équivalent tubulaire) a tendance à déséquilibrer l’effet global de la pièce. Après de vifs remerciements aux sponsors privés qui ont contribué à ce volumineux achat, Marko Letonja répète «La Grande Porte de Kiev» en bis : décidément on préfère cette apothéose ponctuée par un carillon plus discret, mais là c’est sans doute une affaire de goût personnel.



Laurent Barthel

 

 

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