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Après-midi austère au Festspielhaus

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/15/2019 -  et 18*, 20, 24, 27, 29 août 2019
Giuseppe Verdi : Simon Boccanegra
Luca Salsi (Simon Boccanegra), Marina Rebeka (Amelia Grimaldi), René Pape (Jacopo Fiesco), Charles Castronovo (Gabriele Adorno), André Heyboer (Paolo Albiani), Antonio Di Matteo (Pietro), Long Long (Un capitaine)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker, Valery Gergiev (direction)
Andreas Kriegenburg (mise en scène), Harald B. Thor (décor), Tanja Hofmann (costumes), Andreas Grüter (lumières)


(© Ruth Walz)


Dans le programme de salle, un entretien avec le metteur en scène Andreas Kriegenburg nous expose le principal dilemme de toute l’équipe de ce Simon Boccanegra. Dans cet ouvrage très sombre, faut-il tenter prioritairement de traduire la beauté de la musique de Verdi, et dès lors s’éloigner du caractère ténébreux du livret, ou au contraire faire ressentir scéniquement l’énorme charge pessimiste du texte, et dès lors décevoir les attentes du spectateur en matière d’esthétisme visuel ? En définitive le projet échoue sur les deux tableaux : le résultat est constamment morose à regarder, et le concept que la mise en scène tente d’expliciter ne fonctionne à peu près jamais.


Pour occuper l’espace scénique disproportionné du Grosses Festspielhaus, Harald B. Thor propose un immense dispositif vide aux parois courbes de béton nu, glacial musée d’art moderne dernier cri ou encore possible architecture de parlement/tribunal aisément transformable en bunker. A droite une imbrication cylindrique d’escaliers qui occupe presque une moitié de l’espace, tourne beaucoup, ne sert pas à grand-chose, à gauche un vaste quadrilatère dégagé, avec juste dans un coin un tristounet jardin d’hiver et, on ne sait trop pourquoi, un dérisoire piano à queue. L’ensemble constamment aplati par une lumière livide, qui ne se réchauffe qu’à l’extrême fin (fallait-il vraiment mobiliser un éclairagiste pour un tel néant, avec pour seul travail perceptible le maintien systématique de chaque chanteur dans un halo lumineux à l’aide de projecteurs de poursuite ?). Un dispositif intentionnellement sinistre, sans arrière-plan ni échappées possibles vers une nature salvatrice, espaces maritimes dont l’évocation est pourtant l’une des particularités les plus patentes de la musique de Simon Boccanegra. Eh bien, justement, c’est ça le concept : tout est laid, on fait exprès de ne presque rien donner à voir, et du coup la poésie et le pouvoir d’évocation de la musique de Verdi n’en prendront que davantage de relief ! C’est vite dit...


Le contexte original d’antagonismes entre Guelfes et Gibelins du quatorzième siècle est (inévitablement ?) transposé à l’époque contemporaine, ce dont on s’aperçoit dès les premières mesures du Prologue, les choristes apparaissant systématiquement le nez rivé sur leurs téléphones portables, en train d’envoyer des tweets qui apparaissent projetés en cascades sur un large rideau de tulle. « Votez tous Boccanegra », « Non à Lorenzino », « Make Genoa great again », « Oui à une Europe blanche », « Forza Italia »... de lourds clins d’œil à notre déplorable actualité mondiale. Andreas Kriegenburg ne va cependant guère plus loin dans son propos, opposition entre factions rivales qui seraient dès lors des conservateurs populistes d’un côté et des progressistes révolutionnaires de l’autre. Les costumes, peu réussis, n’apportent guère de signalétique claire (tout le monde en tailleur ou en complet veston, couleur gris et noir pour les uns, plutôt bleu sombre pour les autres) ou alors donnent dans la caricature (Boccanegra en notable embourgeoisé, Amelia en petite robe bleue qui godiche, Gabriele Adorno en bellâtre à la mode) et de toute façon la rigueur de la scénographie ne permet aucune mise en perspective. Les chanteurs paraissent en permanence échoués au milieu de nulle part, avec pour seule ressource éventuelle de s’appuyer au seul mur disponible, de donner des coups de pied rageurs dedans ou de se recroqueviller en attitudes de repli pathétiques. Il n’y a d’ailleurs que deux sièges : une chaise design au milieu et le tabouret du piano. Là encore c’est le service minimum.



(© Ruth Walz)


Distribution d’un niveau heureusement correct, compatible, sans plus, avec ce qu’on peut attendre d’un festival ambitieux. Luca Salsi chante Boccanegra avec une technique saine mais des inflexions parfois rudes, et toujours cette même mauvaise habitude d’aboyer ses répliques quand il souhaite leur donner davantage d’impact. On assiste sans émotion à l’agonie de ce personnage qui ne suscite pas vraiment de sympathie mais dont le caractère plébéien fonctionne bien, en parfait antagonisme avec la noblesse du Fiesco de René Pape, inflexible silhouette longiligne noire et timbre superbe, qui semble encore gagner en profondeur la maturité venue. Le rôle bref de Gabriele Adorno convient bien à Charles Castronovo, dont la voix se fait remarquer par une luminosité et une aisance qui s’abiment vite quand ce bon ténor se fourvoie dans des emplois trop lourds. Et Marina Rebeka parcourt l’ensemble du rôle d’Amelia avec une projection et une facilité qui ont pour seul revers une permanente froideur. A noter un compatriote dans la distribution : André Heyboer, Paolo crédible dans son rôle de grand méchant, mais dont la voix d’un volume seulement moyen paraît trop neutre dans un espace scénique de proportions démesurées.


Curieuse attitude de Valery Gergiev, armé cette après-midi de son traditionnel cure-dents en guise de baguette, et le nez le plus souvent plongé dans sa partition comme s’il avait peur d’y perdre son chemin en cours de route. Les entrées sont brièvement données aux solistes et aux chœurs sans même leur accorder un regard, et les musiciens ont droit à de vagues trémulations des doigts et du poignet pour leur indiquer des attaques que visiblement ils préfèrent gérer eux-mêmes, en se regardant beaucoup. On a l’impression d’observer les Wiener Philharmoniker un de ces jours de routine où ils règlent les affaires courantes, sans se préoccuper beaucoup de leur chef du moment. Avec pour conséquence une exécution correcte (un prestigieux orchestre, quand même !) mais trop prudente, mal connectée aux voix, dépourvue de tension voire de précision. Un résultat très différent de la lecture intense et riche en couleurs que Gergiev obtenait de la troupe du Mariinsky un mois plus tôt à Baden-Baden, vraisemblablement avec encore beaucoup moins de répétitions préalables, mais à la tête d’un orchestre d’un naturel beaucoup plus incisif et flamboyant.



Laurent Barthel

 

 

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