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Marginal ou bourgeois ? Révolutionnaire ou musicien ?

Bayreuth
Festspielhaus
07/25/2019 -  et 28 juillet, 13, 17*, 21, 25 août 2019
Richard Wagner : Tannhäuser
Stephen Milling (Landgraf Hermann), Stephen Gould (Tannhäuser), Markus Eiche (Wolfram von Eschenbach), Daniel Behle (Walther von der Vogelweide), Kay Stiefermann (Biterolf), Jorge Rodríguez-Norton (Heinrich Schreiber), Lise Davidsen (Elisabeth), Elena Zhidkova (Venus), Katharina Konradi (Ein junger Hirte), le Gateau Chocolat (le Gateau Chocolat), Manni Laudenbach (Oskar)
Chor der Bayreuther Festspiele, Eberhard Friedrich (préparation), Orchester der Bayreuther Festspiele, Valery Gergiev*/Christian Thielemann (direction musicale)
Tobias Kratzer (mise en scène), Rainer Sellmaier(décors et costumes), Reinhard Traub (lumières), Manuel Braun (vidéo), Konrad Kuhn (dramaturgie)


(© Bayreuther Festspiele/Enrico Nawrath)


Assister à une représentation à Bayreuth s’apparente à un pèlerinage, avec son rituel bien huilé et codifié. D’ailleurs, ne parle-t-on pas de « Colline sacrée » pour désigner l’endroit ? C’est aussi ce qu’a dû se dire Tobias Kratzer, qui signe une nouvelle production de Tannhäuser, la neuvième in loco, pour l’ouverture du cent huitième festival. Pour l’artiste allemand, les pèlerins qui se rendent à Rome sont des spectateurs tirés à quatre épingles se pressant pour entrer au Festspielhaus. Si sa vision du chef-d’œuvre de Wagner prête parfois à sourire et n’est pas exempte de faiblesses, elle n’en demeure pas moins enthousiasmante, car d’une grande cohérence dramatique et d’une rare intelligence dans le propos ; elle a aussi le mérite de proposer une nouvelle lecture cohérente de l’ouvrage. Point ici d’opposition entre sexe et vertu, entre sacré et profane ; Tobias Kratzer voit plutôt en Tannhäuser un personnage attiré aussi bien par la marginalité et la soif de liberté que par l’ordre et l’« establishment », louvoyant entre ces deux mondes. Il en fait un double de Richard Wagner, dont les idées politiques révolutionnaires ne l’empêchaient pas de fréquenter la noblesse, à la recherche de mécènes.


Tout commence par un road movie : pendant l’Ouverture, une vidéo montre un minibus conduit par Vénus et parcourant la campagne allemande, avec à son bord Tannhäuser déguisé en clown, une drag-queen portant le nom de Gateau (sic) Chocolat, qui fait instantanément penser à Priscilla, folle du désert, et un nain prénommé Oskar, qui, lui, rappelle le héros éponyme du Tambour de Günther Grass et de Volker Schlöndorff. Le minibus fait ensuite son apparition sur scène. La joyeuse équipe n’a qu’un credo : libre dans ses décisions, libre dans ses volontés, libre dans la jouissance, comme l’écrivait... un certain Richard Wagner en 1849. La mort d’un gendarme happé par le véhicule fait réfléchir Tannhäuser, qui décide de quitter ses acolytes pour rejoindre son ancien amour, Elisabeth, chanteuse à Bayreuth. L’acte II est une représentation au Festspielhaus, dans des costumes et des décors des plus classiques, tels qu’on pouvait les voir du temps de Wieland Wagner. Une subtile mise en abîme du théâtre dans le théâtre grâce, de nouveau, à une vidéo montre les coulisses de la représentation, avec les chanteurs et les choristes se préparant à entrer sur scène. L’arrivée de Venus et de sa bande de joyeux drilles sème la zizanie pendant le spectacle. Katharina Wagner, directrice du festival, prend son téléphone pour appeler la police, ce qui déclenche l’hilarité du public. Les gendarmes débarquent illico pour arrêter Tannhäuser. L’acte III se déroule dans un terrain vague. Wolfram et Elisabeth trompent leur ennui et leur détresse en couchant ensemble. Une immense enseigne montre Gateau Chocolat faisant de la publicité pour une montre de luxe. La drag-queen a quitté la marginalité pour devenir riche, au contraire de Tannhäuser, qui fait son apparition en clochard. Elisabeth meurt dans ses bras, le héros rêvant qu’elle aurait pu l’accompagner dans le minibus à travers la campagne. Les quelques huées qui fusent à la fin de la soirée sont vite contrebalancées par les bravos enthousiastes de toute une frange du public. Le spectacle a au moins le mérite de ne laisser personne indifférent. On ne peut qu’espérer qu’il se bonifiera au cours des années, tant le propos est fort et intelligent.


Les débuts de Valery Gergiev sur la Colline sacrée ne laisseront pas un souvenir impérissable. Dommage, car les affinités du chef russe avec Wagner étaient jusqu’ici évidentes. On ne reviendra pas sur son emploi du temps démentiel cet été, évoqué à plusieurs reprises dans ces colonnes. Toujours est-il qu’il s’est mal préparé à son premier Bayreuth, en arrivant plusieurs fois en retard aux répétitions, En outre, pour des raisons familiales, il n’a pas été en mesure de diriger la représentation du 13 août, laissant la baguette à Christian Thielemann. Sa lecture a privilégié l’introspection et les demi-teintes, mais a singulièrement manqué d’éclat, d’ampleur et de ressort dramatique. Aux saluts, le maestro a été contesté par une large partie de la salle. Il ne sera pas sur le podium l’année prochaine pour la reprise du spectacle.


La distribution vocale a, elle, fait l’unanimité et a été accueillie par des ovations frénétiques. Déjà Tannhäuser à Bayreuth en 2004 et 2005, Stephen Gould a certes mis un certain temps pour chauffer sa voix et entrer dans son personnage, mais en fin de compte, sa prestation a convaincu par sa vaillance et son endurance, faisant du chanteur l’un des rares à pouvoir aujourd’hui interpréter ce rôle meurtrier. Il se montre à son meilleur dans le troisième acte, où il ajoute nuances et émotion. A noter qu’il réussit aussi l’exploit de chanter en même temps Tristan. L’Elisabeth de Lise Davidsen était attendue avec impatience, tant la soprano norvégienne d’à peine 32 ans est en pleine ascension. Les attentes n’ont pas été déçues : la voix est immense, ronde et veloutée, dégageant une plénitude sonore peu commune ; en outre, les aigus semblent atteints sans difficulté. La chanteuse est aussi capable d’alléger son instrument pour se faire particulièrement émouvante dans la supplique à la Vierge. Assurément, Lise Davidsen a de beaux jours devant elle, certains n’hésitant pas à la comparer déjà à sa compatriote Kirsten Flagstad, voire à Birgit Nilsson. Vénus fine et athlétique, Elena Zhidkova séduit tout autant par son engagement scénique énergique et son allure déjantée que par sa voix lumineuse et son timbre percutant. Markus Eiche incarne un Wolfram bien chantant et raffiné, au superbe legato. On retiendra également le Landgraf noble et autoritaire de Stephen Milling, sans oublier le superbe Walther de Daniel Behle. On ne saurait terminer ce compte rendu sans évoquer la prestation du chœur, toujours admirable de cohésion et de musicalité. Une grande soirée à Bayreuth.



Claudio Poloni

 

 

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