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Wagner à l’épreuve de l’histoire

Bayreuth
Festspielhaus
07/27/2019 -  et 31* juillet, 6, 10, 24, 27 août 2019
Richard Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg
Michael Volle (Hans Sachs), Günther Groissböck (Veit Pogner), Tanzel Akzeybek (Kunz Vogelgesang), Armin Kolarczyk (Konrad Nachtigall), Johannes Martin Kränzle (Sixtus Beckmesser), Daniel Schmutzhard (Fritz Kothner), Paul Kaufmann (Balthasar Zorn), Christopher Kaplan (Ulrich Eisslinger), Stefan Heibach (Augustin Moser), Ralf Lukas*/Raymund Nolte (Herman Ortel), Andreas Hörl (Hans Schwarz), Timo Riihonen (Hans Foltz), Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing), Daniel Behle (David), Emily Magee*/Camilla Nylund (Eva), Wiebke Lehmkuhl (Magdalene), Wilhelm Schwinghammer (Nachtwächter) Festspielchor, Eberhard Friedrich (chef de chœur), Festspielorchester, Philippe Jordan (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Rebecca Ringst (décor), Klaus Bruns (costumes), Franck Evin (lumières)


(© Enrico Nawrath)


D’abord quelques constatations grincheuses, d’ancien pèlerin qui n’avait plus fait l’ascension de la colline verte depuis plus d’une vingtaine d’années. Naguère on se plaignait surtout à Bayreuth de l’inconfort des sièges du Festspielhaus, alors que maintenant c’est la température de la salle qui pose le plus évident problème. Avec le réchauffement climatique, le thermomètre extérieur peut s’affoler chaque année plus souvent, mais le pire provient d’une intense paranoïa sécuritaire. A force de verrouiller continuellement toutes les issues sauf pour laisser le public brièvement entrer et sortir, au lieu de largement ventiler toutes portes et fenêtres ouvertes aussi souvent et longtemps que possible, la salle se transforme en cocotte-minute, même quand dehors il fait relativement frais. Aujourd’hui non seulement les pèlerins ont chroniquement mal au dos et aux fesses, mais en plus ils transpirent comme des fontaines, voire font des malaises. Passons aussi sur la réitération assommante des contrôles de billets et des vérifications d’identité, sur le nombre d’itinéraires barrés qui limitent les promenades autour du bâtiment... Le lieu festif de naguère est devenu une enceinte étroitement surveillée, où on se sent peu à l’aise.


Autre surprise : le Festspielorchester a perdu de son infaillibilité légendaire. Peut-être a-t-il lui aussi beaucoup trop chaud (invisibles du public dans l’ « abîme mystique », les musiciens sont réputés y jouer volontiers en bermuda et en tongs, travaillent-ils maintenant en maillot de bain ?) ou alors la formation n’a-t-elle pas encore trouvé toutes ses marques en ce début de festival ? Toujours est-il que les incidents sont nombreux, a fortiori quand c’est Valery Gergiev qui dirige Tannhäuser (là tout le monde flotte, y compris les chœurs). Mais même Christian Thielemann (un Prélude de Lohengrin assez laid, avec des cordes décharnées aux appuis d’archet anarchiques) et Philippe Jordan (un énorme décalage des cuivres dans la péroraison du Prélude des Meistersinger) rencontrent quelques déboires. Riche de largement plus d’une centaine d’âmes, le chœur reste heureusement somptueux, et l’orchestre continue, dans cette acoustique particulière, à sonner de façon miraculeuse, mais les contingences sont bien là, a fortiori perceptibles pour qui a pu aussi largement connaître la fastueuse période des Barenboim et surtout Levine dans le même cadre.


Pour Philippe Jordan, on notera une direction des Meistersinger délibérément allégée, l’acoustique de la fosse accentuant le côté « fondu » de la chose, mais où les hiérarchies ne favorisent pas forcément les lignes que l’on préférerait entendre. Autre problème : ce sont les Préludes d’acte, là où a priori on écoute le plus l’orchestre, qui sont le moins convaincants, assez peu habités. Mais comme de toute façon tous ces Préludes sont joués rideau ouvert, beaucoup n’écoutent déjà plus ce qui se passe dans la fosse (une autre tendance de fond à Bayreuth : des rideaux levés trop précocement, qui nous privent de ces débuts étranges où la musique émerge progressivement de la pénombre, comme de nulle part, assurément l’une des caractéristiques les plus magiques du lieu).


La mise en scène de Barrie Kosky, donnée pour le troisième été consécutif, a effectivement besoin de tout le Prélude pour installer ses personnages. On se trouve dans le salon-bibliothèque de la Villa Wahnfried, Cosima a la migraine, Richard promène ses chiens, arrivent Liszt et le chef d’orchestre Hermann Levi... Et puis rapidement, par le jeu des ressemblances, le double fond du concept devient clair : Liszt = Pogner, Wagner = Sachs mais aussi Stolzing ou David à d’autres âges, Cosima= Eva, Hermann Levi = Beckmesser, la gouvernante = Magdalene, etc. Tout cela assez compliqué, alors que d’autres personnages continuent d’émerger du piano (oui, du piano !), en costumes médiévaux cette fois : toute la brochette des Meistersinger, qui viennent eux-aussi s’entasser dans le salon. Un joli méli-mélo mais qui fonctionne, en particulier parce que Barrie Kosky n’a pas son pareil pour fouiller chaque caractère, faire trouver par chaque chanteur son niveau d’expressivité scénique maximal. A mesure que la confusion de l’intrigue augmente on s’amuse de plus en plus, et ce brillant premier acte laisse vraiment bien augurer de la suite.


Après l’entracte, le concept retombe dans la banalité d’une lecture conventionnelle, desservi de surcroît par un décor pas beau du tout (apparemment la salle du procès de Nuremberg en 1945 : la troisième des époques que brasse la mise en scène). Kosky en profite surtout pour appuyer sur les aspects antisémites du traitement du personnage de Beckmesser, problème bien connu et depuis fort longtemps, transcription d’une idéologie raciale certes d’époque, mais à laquelle le clan Wagner a lui aussi beaucoup souscrit, avec à la fin de l’acte une énorme caricature gonflable de juif, démarquée de glaçantes affiches de propagande nazie des années trente, qui envahit une bonne partie de la scène comme une hydre. C’est franchement lourd, mais sans doute aussi nécessaire...


Difficile début de troisième acte, avec un concept toujours en panne, emprisonné dans son décor inerte de salle de tribunal. Tout se concentre sur le jeu des chanteurs, sans originalité particulière mais toujours excellent, et à regarder de préférence avec de bonnes jumelles. Eclairages en friche (il faut attendre le début du Quintette pour que le premier effet lumineux poétique s’installe, c’est très long). Et puis tout redémarre au quart de tour sur le Festwiese : gestion des chœurs d’une virtuosité étourdissante, beauté et variété des costumes, multiples originalités dans la gestion des défilés et des allées et venues, délirante apothéose « orchestrale », sur un plateau qui arrive du fond à grande vitesse... (on n’en dira pas plus, pour ne pas « spoiler », comme on dit aujourd’hui). On retrouve l’état de grâce du premier acte, mais un peu tard.


Très belle distribution, déparée par l’Eva trop mûre d’Emily Magee, pour le coup très « Cosima » d’apparence et surtout de voix (ligne de chant sans charme et intonations aigres), mais remercions là d’avoir sauvé la soirée en remplaçant Camilla Nylund au pied levé (accueil ostensiblement froid du public, pas franchement reconnaissant). Michael Volle est un Sachs idéal, d’endurance, de clarté de diction, de rechange de couleurs : aucun aspect de ce rôle écrasant n’est laissé dans l’ombre. Klaus Florian Vogt est toujours aussi apparemment jeune, frais, altier, dans ce personnage de Stolzing qui lui va décidément comme un gant. Merveilleux Pogner pontifiant mais aussi très humain de Günther Groissböck, David vif-argent de Daniel Behle, un peu bridé dans son aura par la mise en scène, qui l’individualise peu, distribution idéale pour tous les « petits Maîtres » puisés dans le riche vivier des troupes permanentes allemandes... Sur ce plan-là, Bayreuth sait encore tenir toutes ses promesses.



Laurent Barthel

 

 

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